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mence demain. Pendant que nos compagnons s’y préparent, je te parlerai dès ce soir de notre marche en plaine, qui n’a été qu’une promenade assez courte faite avec lenteur.

Nous sommes partis à six heures précises, accompagnés de l’escorte assez bruyante dont je t’ai parlé, — en tout vingt-huit ou trente chevaux, — faisant ensemble beaucoup de tapage et soulevant un flot de poussière qui ne nous a quittés qu’à notre entrée dans les broussailles. Le temps était admirablement beau, net et reposé. Une énorme humidité couvrait la plaine, et, comme le soleil est le plus grand bienfaiteur de notre monde après Dieu, on aurait dit que, par la seule vertu de sa lumière, il changeait la rosée nocturne en une pluie d’argent. Ce mirage étincelant, qui ne trompa personne, joua devant nos yeux pendant une petite heure ; puis le soleil lui-même en fit ce que la réalité fait des mensonges, et la plaine apparut telle qu’elle est, non pas morte, mais aride, plutôt inculte que stérile, non pas déserte, mais négligée par les mains de l’homme. Au reste, elle ressemble aux cantons que les arrivans traversent en venant d’Alger, avec moins de broussailles qu’à la sortie du Sahel, moins de marécages qu’aux environs de Bouflarik, et plus de landes. J’entends par landes, ici comme ailleurs, tout ce qui pousse au hasard partout où la charrue n’est pas venue, le produit spontané d’une terre qui n’a été labourée ni fortifiée, à qui l’on n’a rien confié, et qui, même en ce pays des générosités naturelles, se fatigue alors le moins possible : les indestructibles oignons mêlés aux indestructibles palmiers nains, le désespoir des colons à venir ; les artichauts sauvages, qui déjà commencent à paraître avec leur tige incolore et leurs fruits barbus ; les romarins, les lavandes, les genêts aux fleurs jaunes, la broussaille enfin à demi dépouillée du peu de feuillage épineux qui lui donnât l’air de végéter, et qui depuis longtemps a pris la couleur indéfinissable des choses poudreuses ou inanimées. L’été n’a pas laissé une herbe vivace sur cette longue étendue, tour à tour battue par les grandes pluies, puis écrasée par le poids des eaux stagnantes, puis durcie, gercée, brûlée par cinq mois déjà de sécheresse et de soleils à peu près continus. De grands espaces vides et d’un parcours aussi doux au pas des chevaux que peut l’être un pré fauché ressemblent à des chaumes dont la paille aurait été. coupée très court. Ce qui poussait dans ces prés sans herbe avant que la morsure du soleil ou la dent des troupeaux les eût rasés, je l’ignore ; mais on n’y voit plus qu’une multitude de grands chardons à haute tige, tous couronnés, comme la hampe des drapeaux arabes, d’une boule blanche composée d’un duvet soyeux. Rien n’est plus stérile ni plus bizarre. Le vent de l’été passe, sans y former le plus petit murmure, à travers cette claire