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coups de bâton. Dryden eut, outre cela, des querelles contre Shadwell et une foule d’autres, puis à la fin contre Blackmore et Jeremy Collier. Pour comble, il entra dans le conflit des partis politiques et des sectes religieuses, combattit pour les tories et les anglicans, puis pour les catholiques, écrivit la Médaille, Absalon et Achitophel contre les whigs, la Relîgio Laïci contre les dissidens et les papistes, puis la Biche et la Panthère pour le roi Jacques II, avec la logique d’un homme de controverse et l’âpreté d’un homme de parti. Il y a bien loin de cette vie militante et raisonneuse aux rêveries et au détachement d’un vrai poète. De telles circonstances enseignent l’art d’écrire clairement et solidement le discours méthodique et suivi, le style exact et fort, la plaisanterie et la réfutation, l’éloquence et la satire, car il n’y a pas d’autres voies pour se faire écouter ou se faire croire, et l’esprit entre de force dans les voies qui le conduisent à son but. Celui-ci y entrait de lui-même. Dès sa seconde pièce[1], l’abondance des idées serrées, l’énergie et la liaison oratoire, la simplicité, le sérieux, le souffle héroïque et romain annoncent un génie classique, parent non de Shakspeare, mais de Corneille, capable non de drames, mais de discours.

Et cependant dès l’abord il se donna au drame ; il en fit vingt-sept, et signa un traité avec les acteurs du Théâtre du Roi pour leur en fournir trois par an. Le théâtre, interdit sous la république, venait de se rouvrir avec une magnificence et un succès extraordinaires. Les décorations enrichies et devenues mobiles, les rôles de femmes joués non plus par de jeunes garçons, mais par des femmes, l’éclairage splendide et nouveau des bougies, les machines, la popularité récente des acteurs, qui devenaient les héros de la mode, l’importance scandaleuse des actrices, qui devenaient les maîtresses des grands seigneurs et du roi, l’exemple de la cour et l’imitation de la France attiraient les spectateurs en foule. La soif du plaisir, longtemps comprimée, débordait. On se dédommageait de la longue abstinence imposée par les puritains fanatiques ; les yeux et les oreilles, dégoûtés des visages moroses, de la prononciation nasale, des éjaculations officielles sur le péché et la damnation, se rassasiaient de la douceur des chants, du chatoiement des étoffes, de la séduction des danses voluptueuses. On voulait jouir, et jouir d’une façon nouvelle, car un nouveau monde, celui des courtisans et des oisifs, s’était formé. L’abolition des tenures féodales, l’augmentation énorme du commerce et de la richesse, l’affluence des propriétaires, qui mettaient des fermiers à leur place et venaient à Londres pour goûter les plaisirs de la ville et chercher les faveurs du roi,

  1. Stances sur la mort d’Olivier Cromwell.