Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/558

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et dont les aventures sortent des bornes du naturel et du possible[1]. » Il ne comprend pas mieux la finesse que la fantaisie. Parlant d’Horace, il trouve que « son esprit est terne et son sel presque sans goût ; celui de Juvénal est plus vigoureux et plus mâle, et me donne autant de plaisir que j’en puis porter. » Par la même raison, il rabaisse les délicatesses du style français. « La langue française n’est pas munie de muscles comme notre anglais ; elle a l’agilité d’un lévrier, mais non la masse et le corps d’un dogue. Ils ont donné pour règle à leur style la pureté ; la vigueur virile est celle du nôtre. » Deux ou trois mots pareils peignent un homme ; Dryden vient de marquer sans le savoir la mesure et la qualité de son esprit.

Cet esprit, on le devine, est lourd, et particulièrement dans la flatterie. L’art de flatter est le premier dans un âge monarchique. Dryden n’y est guère habile, non plus que ses contemporains. De l’autre côté du détroit, à la même époque, on loue autant, mais sans trop s’avilir, parce qu’on apprête la louange ; tantôt on la déguise ou on la relève par la grâce du style, tantôt on a l’air de s’y conformer comme à une mode. Ainsi tempérée, les gens la digèrent. Ici, loin de la fine cuisine aristocratique, elle pèse toute crue et massive sur l’estomac. Le ministre Clarendon, apprenant que sa fille venait d’épouser en secret le duc d’York, suppliait le roi de la faire décapiter au plus vite. La chambre des communes, composée en majorité de presbytériens, se déclarait elle-même et le peuple anglais rebelles, dignes du dernier supplice, et allait en corps se jeter aux pieds du roi, d’un air contrit, pour le supplier de pardonner à la chambre et à la nation. Dryden n’est pas plus délicat que les hommes d’état et les législateurs. Ordinairement ses dédicaces donnent la nausée. Il dit à la duchesse de Monmouth que « nulle partie de l’Europe ne peut offrir quelqu’un qui égale son noble époux pour la mâle beauté et l’excellence de l’extérieur. » — « Vous n’avez qu’à vous montrer tous deux ensemble pour recevoir les bénédictions et les prières de l’humanité. Nous sommes prêts à conclure que vous êtes un couple d’anges envoyés ici-bas pour rendre la vertu aimable ou pour offrir des modèles aux poètes, quand ils voudront instruire et charmer leur siècle en peignant la bonté sous la forme la plus parfaite et la plus séduisante qui soit dans la nature. » Ailleurs, se tournant vers Monmouth, il ajoutait : « Tous les hommes se joindront à moi pour le tribut d’adoration dont je m’acquitte envers votre grâce. » Sa grâce ne sourcillait pas, ne bouchait pas sa narine, et sa grâce avait raison. Un autre écrivain, mistress Afra Rehn, allumait sous le nez d’Éléonor

  1. « Il n’a manqué à Spenser, dit aussi Dryden, que d’avoir lu les règles de Bossu. »