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réflexion. Les jugemens s’enchâssent en des images abréviatives ou en des lignes symétriques qui leur donnent la solidité et la popularité d’un dogme. Les vérités générales atteignent la forme définitive qui les transmet à l’avenir et les étend sur le genre humain. Tel est le mérite de ces poèmes ; ils plaisent par leurs bonnes et leurs belles expressions. Sur un tissu plein et solide se détachent des fils habilement noués ou éclatans. Ici Dryden a rassemblé en un vers un long raisonnement ; là une métaphore heureuse a ouvert sous l’idée principale une perspective nouvelle ; plus loin deux mots semblables collés l’un contre l’autre ont frappé l’esprit d’une preuve imprévue et victorieuse ; ailleurs une comparaison cachée a jeté une teinte de gloire ou de honte sur le personnage qui ne s’y attendait pas. Ce sont toutes les adresses et les réussites du style calculé, qui rend l’esprit attentif, et le laisse persuadé ou convaincu.

A la vérité, il n’y a guère ici d’autre mérite littéraire. Si Dryden est un politique expérimenté, un controversiste instruit, bien muni d’argumens, sachant tous les tournans de la discussion, versé dans l’histoire des hommes et des partis, cette habileté de pamphlétaire toute pratique et anglaise le retient dans la basse région des combats journaliers et personnels, bien loin de la haute philosophie et de la liberté spéculative qui impriment au style classique des contemporains français la durée et la grandeur. Au fond, dans ce siècle en Angleterre, toutes les discussions restent étroites. Excepté le terrible Hobbes, ils manquent tous de la grande invention. Dryden, comme les autres, reste confiné dans des raisonnemens et des insultes de secte et de faction. Les idées alors sont aussi petites que les haines sont fortes ; nulle doctrine générale n’ouvre au-dessus du tumulte de la bataille des perspectives poétiques : des textes, des traditions, une triste escorte de raisonnemens rigides, voilà les armes ; les préjugés et les passions se valent dans les deux partis. C’est pourquoi la matière manque à l’art d’écrire. Dryden n’a point de philosophie personnelle qu’il puisse développer ; il ne fait que vérifier des thèmes qui lui sont donnés par autrui. Dans cette stérilité, l’art se réduit bientôt à revêtir des pensées étrangères, et l’écrivain se fait antiquaire ou traducteur. En effet, la plus grande partie des vers de Dryden sont des imitations, des remaniemens ou des copies. Il a traduit Perse, Virgile, une partie d’Horace, de Théocrite, de Juvénal, de Lucrèce et d’Homère, et mis en anglais moderne plusieurs contes de Boccace et de Chaucer. Ces traductions alors semblaient d’aussi grandes œuvres que des compositions originales. Quand il aborda l’Enéide, «la nation, dit Johnson, parut se croire intéressée d’honneur à l’issue. » Addison lui fournit les argumens de chaque livre et un essai sur les Géorgiques ; d’autres lui don-