Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/594

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parthénon ne voit plus guère que des nez camards. Faut-il remonter aux Huns pour expliquer ce changement? Je ne sais; mais si vous voulez revoir le profil de la Vénus de Milo, allez à Baltchick, à Varna, à Bourgas. La vue des filles qui composent une noce est donc faite pour réjouir le cœur. Leurs vestes de soie rouge, jaune ou verte, leurs pantalons bouffans serrés à la cheville, font valoir leurs formes déliées et musculeuses. Leurs fez plats sont cousus de pièces d’or, et de larges colliers de medjidiés[1] à trois rangs resplendissent sur leurs poitrines. Elles portent ainsi leur dot à leur cou. En hiver, des houppelandes de fourrure les protègent contre le froid, tout en laissant voir adroitement les richesses de leur costume.

Cependant l’orchestre commence un air de danse, thème monotone de dix mesures au plus, qui doit se reprendre sans aucune espèce de variations durant cinq ou six heures. Les filles et quelques garçons se forment en rond et se mettent à danser à petits pas, presque sur eux-mêmes, en tournant lentement. Peu à peu leur nombre augmente, car la porte de la maison reste toujours ouverte, et chacun entre librement; personne n’est invité, la fête de famille est publique. A chaque instant, un nouveau-venu vient s’interposer entre deux mains qu’il sépare. Déjà la chaîne se contourne en spirales nombreuses qui rentrent les unes dans les autres, et cette longue file, enchevêtrée en mille détours, s’enroule, se déroule, se croise, tourne indéfiniment en cadence. La tenue des filles est grave et sérieuse. Pas un mot n’est échangé. Cependant plus d’un cœur bat sans doute, car c’est là que les garçons viennent faire choix de leur épouse, et le lendemain d’une noce ont lieu d’ordinaire plusieurs demandes en mariage. La mariée prend part à la danse. C’est son dernier adieu aux vierges. Elle est humble et presque triste. Ses longs cheveux bruns s’étalent sur ses épaules; ils sont enlacés d’un grand nombre de bandelettes en clinquant d’argent, qui scintillent aux lumières. — Eh quoi! dira-t-on, sommes-nous dans un pays où il n’y a pas de blondes? — Certes il y a là de belles filles blondes; mais un usage sévère veut que leurs cheveux soient teints en noir la veille du mariage. On juge sans doute que la femme, quand elle est appelée aux devoirs austères de la maternité, doit dépouiller les couleurs riantes de l’enfance.

C’est dans une danse de ce genre qu’Antonia venait de prendre place, vêtue d’un costume qui tenait à la fois de la Grèce et de l’Europe. Ses cheveux étaient noués au sommet de la tête par un foulard d’un vert tendre qui retombait coquettement sur l’oreille. Une pelisse garnie de fourrure blanche l’enveloppait jusqu’aux genoux.

  1. Pièces d’or de cent piastres.