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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/643

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l’auraient défendue il y a quarante ans. Ce genre de preuves ne fait plus aucune impression sur les esprits, comme je sais tous les jours à même de le remarquer. Je connais même plusieurs personnes qui, de chrétiennes qu’elles étaient, sont devenues incrédules en lisant les apologies de la religion. Depuis que la raison s’est déclarée souveraine, il faut aller droit à elle, la saisir sur son trône et la forcer, sous peine de mort, de se prosterner devant la raison de Dieu. » Il serait impossible de mieux résumer et la nécessité des circonstances et le nouveau mouvement philosophique qui en sortait pour les croyans, et qui continue de nos jours; mais l’ardent apôtre qui, dans sa foi non moins sincère que celle de son modèle, écrivait alors l’Essai sur l’Indifférence voyait-il bien clair dans la conscience de son esprit? Le temps pour lui a résolu ce problème. De Maistre de son côté faisait peu de cas des objections romaines. « Il sentait en lui, disait-il, une certaine force indéfinissable qui lui faisait éprouver le besoin de répandre ses idées, » et il prétendait avoir « quelque droit de croire que cette espèce d’inspiration était quelque chose[1]. » Et ainsi, tout en protestant d’ailleurs de sa soumission, et en n’écartant, comme Vico, Descartes et tant d’autres, la révolution que par hypothèse, il suivait son sens propre. Cette inspiration dont il parle n’est autre que celle du siècle, et ce qui l’entraîne, c’est une révolution intellectuelle contenue dans la révolution politique.

Or en quoi consiste cette nouvelle apologie qu’il substitue à l’ancienne, désormais usée et impuissante? Elle consiste à rationaliser le dogme, c’est-à-dire à introduire la raison, comme une autorité suffisante, dans le mystère même. De Maistre ne renie point pour son compte les anciens argumens fondés sur des faits miraculeux, mais il les abandonne à leur désuétude. Il dédaigne la théologie humblement appliquée aux textes à l’entrée du sanctuaire, et il en lève le voile d’une main hardie pour montrer à son siècle qu’il n’y a là que les lois ordinaires de la Providence. L’oracle inspiré peut se taire sans inconvénient : le dogme n’est plus incompréhensible, ni définitif; il est, comme toute science, mais dans la plus haute des sphères, rationnel, universel, progressif.

Il est rationnel. « Les dogmes ne sont que des lois du monde divinisées, des notions innées et déposées dans les traditions de tous les peuples. » — « Les vérités théologiques ne sont que des vérités générales, manifestées et divinisées dans le cercle religieux, de sorte que l’on ne saurait en attaquer une sans attaquer une loi du monde[2]. » dans le détail, il applique cette pensée à chaque dogme qu’il aborde; ici, c’en est un que le christianisme a consacré « en s’emparant d’une idée naturelle; » là, c’est une vérité « qui

  1. Du Pape, Discours préliminaire.
  2. Du Pape, liv. Ier, chap. Ier.