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reur, ou de ne pouvoir en être accusé. » L’infaillibilité n’est donc plus autre chose que la suprématie, a une même chose sous deux noms différens. » C’est là une de ces vérités qui dépendent de la nature des choses, et qui « n’ont nullement besoin de s’appuyer sur la théologie. » Voilà donc le dogme de l’autorité infaillible humanisé, rationalisé comme les autres. A prendre cette explication à la lettre, l’équivoque est trop grossière, le tour de force trop puéril; nous nous refusons à croire qu’il en ait été entièrement dupe. Il est impossible qu’il n’ait pas vu l’énorme abîme qui sépare l’infaillibilité telle que l’église l’entend de la souveraineté civile et du dernier ressort judiciaire : la première, qui force non-seulement la soumission, mais l’assentiment, la conviction même, la foi, et qui fixe à jamais non-seulement le jugement particulier sur un fait, mais la loi même dont il émane, lors même qu’elle n’aurait pas été antérieurement définie; la seconde, qui n’impose que le respect et l’obéissance extérieure, sans agir sur la conviction, sans empêcher qu’on ne la discute, qu’on ne la combatte, qu’on n’en change les arrêts pour l’avenir par une nouvelle législation.

Si étranges qu’elles soient, ces assertions s’expliquent cependant par l’état mixte où s’agite l’esprit de l’écrivain. Il faut peut-être avoir éprouvé cet état pour comprendre avec quelle force une âme en transition peut, de bonne foi, allier les contraires. Quel homme, dit Fénelon, va jusqu’au bout de sa raison? D’un côté, de Maistre se trouve en présence de sa propre orthodoxie, qu’il réserve toujours, du clergé, dont il ménage les traditions d’école, et de l’état présent de l’église, d’où il faut nécessairement partir, puisque c’est par elle-même qu’il entend la renouveler. De l’autre côté, par où l’appelle son but, il voit l’ordre rationnel, le seul qu’il croie désormais efficace; les laïques, qui n’écoutent que ce qui procède de cet ordre; puis les plans divins, qu’il annonce en précurseur, et qu’évidemment il croit préparer. Comment passer d’une rive à l’autre, si ce n’est à la faveur de cette équivoque à demi volontaire dont on s’enveloppe parfois pour soi-même plutôt encore que pour les autres? C’est pourquoi il amasse des nuages pour couvrir l’union divine qui doit féconder l’avenir. On peut encore comprendre ici pourquoi il regrettait si amèrement que l’église ait tant écrit, qu’elle se soit liée par tant de définitions, qui la rendent « inattaquable, » il est vrai, mais aussi « moins accessible, » c’est-à-dire moins apte à l’universalité, et qui l’empêchent d’élargir ses bras pour « y serrer le genre humain.» Eh bien ! puisque le mot d’infaillibilité est écrit, qu’on laisse le mot et qu’on change la chose; c’est d’ailleurs le train ordinaire des transformations de ce monde. Que l’infaillibilité devienne, puisque nos temps la repoussent, la souveraineté; que l’esprit vivifie la