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ciennes histoires, et « ce n’est encore là, dit-il, qu’une de ces lois générales du monde qu’on ne remarque pas assez, et qui cependant sont d’une incontestable évidence. »

Il s’est trompé pour avoir voulu donner à la forme la fixité du principe, pour avoir « mesuré sur l’enfant les proportions de l’homme fait,» pour avoir, par conséquent, failli aux idées qu’il soutenait lui-même dans l’Essai sur le principe générateur des constitutions humaines. Si son imagination, plus contenue et plus régulière, lui avait permis d’avoir toujours présentes toutes ses pensées, il eût réfléchi que la croissance insensible des sociétés suppose le changement, qu’en marchant elles passent d’un milieu dans un autre et s’y modifient; il n’eût pas considéré seulement le principe de la vie, mais aussi les âges de la vie. Sa constitution européenne, calquée sur le passé, est aussi artificielle que les constitutions révolutionnaires qui l’ont tant irrité et si bien inspiré ; c’est un idéal immobile qui stériliserait la fécondité des manifestations de la Providence.il n’a pas même vu dans sa grandeur possible le système catholique de l’unité du sacerdoce et de l’universalité du dogme. Au lieu de le mêler encore aux choses contingentes, aux intérêts compliqués, aux questions souvent inextricables de la politique, il devait au contraire le renfermer plus étroitement dans la sphère éternelle des vérités morales, et lui confier, avec les rites qui en sont l’expression, ce fonds commun d’idées et de sentimens qui seul réalise l’unité du genre humain, laissant aux peuples le soin d’en pratiqueras conséquences. L’intelligence peut-elle se concentrer encore? Ne faut-il pas, sous peine de destruction, qu’elle soit diffuse dans la démocratie, puisque celle-ci seule a la force? Elle n’a plus besoin de dispense pour se faire droit; elle ne se dispense que trop elle-même. Les rois n’existent que parce qu’ils l’écoutent. Les uns l’ajournent par les concessions qui calment, les autres la répriment par une réaction qui corrige; mais tous l’observent et ne commandent qu’en lui obéissant d’avance. Elle est une force qui n’a pas encore ses organes complets, mais qu’on ne peut détruire; il n’y a donc qu’à répandre sur elle la lumière religieuse, afin que, souveraine de fait, mais nullement infaillible, elle sache se conduire elle-même dans l’avenir mystérieux où elle entre.

Il nous reste à suivre, dans les Soirées de Saint-Pétersbourg, le dernier essor de cet esprit si complexe : cet examen complétera et confirmera l’interprétation que nous en avons donnée.


LOUIS BINAUT.