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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/655

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Le premier symptôme bien manifeste de la désaffection des cipayes date des derniers jours de janvier 1857. Le 22 de ce mois, dans un des établissemens militaires des environs de Calcutta, Dum-Dum[1], un des subalternes, un classie, ayant demandé à un des grenadiers du 2e de lui donner un peu de l’eau de son lotah, le fier brahmine refusa, ne sachant, disait-il, à quelle caste appartenait le classie. Celui-ci répliqua sur-le-champ que bientôt cette susceptibilité ne serait plus de mise : « Vous perdrez votre caste d’ici à peu, ajouta-t-il, car vous aurez à déchirer des cartouches enduites avec la graisse des porcs et des vaches. » Le propos circula, et du mécontentement qu’il parut soulever rapport fut fait immédiatement à l’autorité supérieure par l’officier chargé de l’arsenal où avait eu lieu cette altercation. Cet officier en effet, causant avec quelques-uns de ses subordonnés, avait appris que le propos tenu par le classie au sujet des cartouches Enfield avait déjà fait son chemin dans l’Inde tout entière. Ce n’était donc point une parole jetée en l’air, sans portée et sans valeur. Le supérieur immédiat à qui fut adressé un rapport sur cet incident y ajoutait, en le transmettant à l’état-major, que, convoqués par lui à la parade et sommés d’exposer les griefs qu’ils pouvaient avoir, les hommes de son détachement s’étaient plaints en termes respectueux, mais très positifs, de leurs nouvelles cartouches. Ils demandaient qu’elles fussent dorénavant préparées avec de la cire et de l’huile au lieu de graisse. C’est en cet état que l’espèce d’enquête ouverte à ce sujet arrivait au général Hearsey, commandant le dépôt de Dum-Dum. Il en sentit toute la gravité, si frivole que pût lui paraître au fond le grief mis en avant par les cipayes, et, sans perdre une minute, il sollicita du vice-adjudant- général l’autorisation d’acheter au bazar les substances destinées à graisser les cartouches, dont ensuite il remettrait la confection aux cipayes eux-mêmes. Cette autorisation fut accordée par le gouverneur-général siégeant en conseil dès le 27 janvier 1857. On s’était en même temps informé du mode de confection des cartouches, et, d’après les rapports reçus à ce sujet, on avait appris qu’en effet nul soin particulier n’était pris pour en écarter les substances réputées immondes par les soldats indigènes, qui, leurs préjugés admis, étaient en droit de se plaindre.

Ils allaient déjà plus loin, et plusieurs incendies nocturnes leur étaient attribués. Ces incendies avaient éclaté à Raneegunge et à Barrackpore ; les flèches enflammées qui avaient servi à mettre le feu étaient en bois de santal. Or, le 2e de grenadiers ayant quitté récemment le district où ce bois se récolte, cette circonstance semblait

  1. Dum-Dum est un vaste dépôt d’artillerie situé à deux lieues de Calcutta.