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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/658

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insurrection fut concertée entre les cipayes de Barrackpore et ceux de Berhampore. Bien combinée, elle eût pu être fatale. Quatre mille cipayes étaient en effet réunis à quelques lieues de Calcutta, où il n’y avait qu’un seul régiment européen. Le Fort-William avait une garnison mixte, ce qui l’exposait à être surpris sans défense possible; mais pour cela il fallait une entente parfaite chez les révoltés, dont le plan était, paraît-il, celui-ci : le 19e devait venir relever le 34e à Barrackpore; chemin faisant, il se déferait de ses officiers. A son arrivée, le 34e s’insurgerait à son tour, et tous les deux marcheraient de concert sur Calcutta. Le colonel Mitchell, ayant quelque idée de projets semblables, les fit échouer par un stratagème fort simple. Il arrêta le 19e à quatorze milles de Barrackpore, et, convoquant les officiers indigènes, les retint autour de lui pendant quelques heures, justement celles où la révolte devait se prononcer. Cet incident suffit pour démonter les meneurs du 34e qui n’osèrent pas donner le signal avant l’arrivée du renfort attendu. Leurs combinaisons n’aboutirent qu’à un crime isolé. Un des leurs, Mungul Pandy, las de voir retardé le massacre des Européens, et la tête montée par les vapeurs du bhang, s’élança tout à coup sur le champ de parade, appelant ses camarades à la sédition. Il avait son fusil à la main, et fit feu sur un sergent-major qui accourait, attiré par ses folles clameurs. Le coup ne porta point; alors, en face même du corps de garde, où dix-neuf hommes armés contemplaient, sans bouger, ce furieux, Mungul Pandy rechargea méthodiquement son arme, et tira de nouveau sur un adjudant qui arrivait à cheval. Le cheval seul fut atteint. L’adjudant et le sergent-major en vinrent aux mains avec le cipaye, qui, s’escrimant de son sabre, frappait sur ces deux officiers sans qu’un seul soldat leur vînt en aide. Loin de là, plusieurs cipayes, traîtreusement accourus, les assommaient à coups de crosse après les avoir renversés. L’assassinat allait être consommé, quand le général Hearsey survint au galop et ordonna aux hommes du poste de faire leur devoir. Pour les décider à obéir, il lui fallut les menacer de son revolver. Il fut bientôt avéré que le chef du poste leur avait enjoint de ne pas bouger. Tous furent arrêtés et jetés en prison.

L’émeute était donc étouffée lorsque le lendemain le 19e, excédé d’une longue marche, parut devant la station. Le licenciement du 19e eut lieu dès le jour suivant en présence du 84e (anglais) et de deux compagnies d’artillerie européenne. Les révoltés du 26 février s’attendaient à d’autres rigueurs que le licenciement pur et simple. Ils écoutèrent sans doute avec étonnement les explications verbeuses par lesquelles on leur expliquait cette mesure, et surtout l’expression des regrets que leurs chefs assuraient avoir éprouvés en s’y décidant.