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était mieux au courant que lui de l’état des choses. Elle n’avait pas, elle, de sermon à préparer.

Tout ce désordre avait lieu à une extrémité des cantonnemens, du côté du campement indigène. Autour du temple, où le clairon des rifles appelait déjà les troupes anglaises, on ne voyait d’autre agitation que celle d’une colonne qui se forme peu à peu. La nuit cependant allait bientôt venir, car le tumulte n’avait commencé qu’à six heures du soir, et chacun s’étonnait du silence gardé par l’état-major, qui laissait inactifs les soldats anglais, déjà réunis et prêts à marcher sur les mutins. Cette inaction fatale devait se prolonger encore toute la nuit. Le commandant de la place, vieillard plus que septuagénaire, pris à court par l’événement, avait perdu la tête, et opposait ses indécisions, sa prudence inopportune, aux instances des officiers placés sous ses ordres. Cependant la révolte grossissait à chaque minute. Les prisonniers de la veille, qu’on avait relâchés dès le début, les voleurs qui pullulent autour des bazars, les budmashes, comme on les appelle, qui traînent dans les bas-fonds de toute cité indienne une existence équivoque, s’étaient immédiatement mis à piller, à brûler tout ce qui n’était pas sous la protection redoutable des lignes anglaises. Les sowars (cavaliers) du 3e galopaient, sabre en main, de tous côtés, chargeant tout ce qu’ils rencontraient d’officiers ou de résidens européens. Cependant il n’est pas établi que le meurtre fut leur principal objet, car le chapelain, qui n’y manque jamais ailleurs, ne mentionne bien positivement aucun assassinat. Le tumulte d’ailleurs ne dura pas plus de deux heures, après lesquelles, n’osant pas se risquer plus longtemps dans le voisinage des troupes anglaises, les cipayes, formés en bon ordre, et sans trouver le moindre obstacle devant eux, prirent la route de Delhi. On les entendait se réjouir, au départ, du succès de leur entreprise et du butin qu’elle leur avait procuré. Se ravisant un peu tard, le général Hewett jeta sur leur piste quelques pelotons de dragons et de riflemen. Cette manœuvre, qui eût pu être décisive une ou deux heures plus tôt, — car rien n’était plus simple que de couper la retraite à ces soldats si peu redoutables en rase campagne, et qui ne disposaient pas d’un seul canon, — cette manœuvre n’aboutit qu’à faire fusiller sur la route quelques traînards qui s’étaient oubliés à piller, ou dont le poids du butin ralentissait la marche. Les dragons et les carabiniers rentrèrent alors à Meerut, d’où pas un détachement ne sortit pendant les quinze jours qui suivirent.

De Meerut à Delhi, la route est unie comme la main, et les cipayes marchent vite quand ils ont ou croient avoir les Anglais sur leurs talons. Leur avant-garde arrivait à Delhi le 12 mai, à sept heures du matin, après avoir franchi quarante milles d’une seule traite. Chemin faisant néanmoins, ils s’étaient donné le loisir de massa-