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bituent à contempler certaines images, l’oreille saisit sans effort le ton régnant de la conversation. Si ce jeune homme a en lui un talent quelconque, et qu’il s’efforce de le manifester, ces premières impressions acquerront une influence extrême. Je crois qu’on peut dire sans trop d’exagération que la première entrée dans la vie, l’heure du début, ont une importance décisive. Ces circonstances ne donnent pas naissance au talent, mais elles lui impriment sa tournure, son cachet, son signe particulier. Tout écrit signé d’un homme de talent pourrait servir jusqu’à un certain point d’extrait de naissance. Un lecteur subtil pourrait deviner presque à coup sûr l’âge de l’auteur, et nommer la période de l’histoire contemporaine dont il a subi l’influence à son entrée dans la vie.

J’appliquerai ces réflexions au talent ingénieux et charmant de M. Octave Feuillet, car de tous les nouveaux écrivains de notre époque, il est celui peut-être dont les œuvres expriment le mieux l’âge intellectuel de leur auteur. Pour qui sait bien lire, elles reportent invinciblement l’esprit vers les dernières années de la monarchie de juillet. Imaginons pour un instant un historien littéraire essayant d’expliquer à ses contemporains, dans quelque soixante ans d’ici, la nature du talent de M. Feuillet, voici, je suppose, en quels termes il s’exprimerait : « A l’époque où l’auteur de Dalila entra dans la vie, la société française n’était plus ce qu’on l’avait vue dans les années qui suivirent la révolution de 1830. Les tempêtes s’étaient calmées, et la société s’abandonnait avec une indolence pleine de sécurité aux douceurs du repos. De tant de fiévreuses agitations il ne restait plus qu’un peu de langueur, une légère migraine et une disposition assez explicable à l’assoupissement. La littérature romantique, frappée dans la vigueur de l’âge d’une attaque d’apoplexie foudroyante, était morte de mort subite sans avoir écrit son testament et désigné ses héritiers. Elle n’était plus qu’une ombre et un souvenir, mais on s’entretenait encore d’elle, et les jeunes gens, en entrant dans la vie, entendaient parler de ses exploits, de ses heureuses audaces, de ses poétiques témérités. On eût dit qu’elle vivait encore, tant sa mémoire était vive et récente, et les vieux croyans ne manquaient pas qui allaient disant que cette mort n’était qu’apparente, et que le romantisme ressusciterait le troisième jour. Beaucoup se laissaient prendre à ces paroles, surtout parmi les plus jeunes, toujours avides de miracles, et attendaient avec une coniiance trop crédule la résurrection annoncée. On se montrait encore dans les théâtres, sur les places publiques, les débris de la grande armée romantique, de tout âge et de tout grade, leudes fidèles aux grands cheveux ou simples invalides écloppés depuis les barricades de Henri III et la grande bataille d’Hernani. L’écho des pas-