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nières. De cette préoccupation, très importante sans doute, mais après tout secondaire, résulte encore, surtout dans ses premiers écrits, une monotonie particulière; tous les objets sont décrits avec le même soin, et tous les personnages parlent un langage également soigné et recherché, si bien qu’on pourrait lui appliquer ces paroles d’un de ses héros : « Je me suis jeté, madame, dans cet extrême pour éviter le naturel d’aujourd’hui, qui me paraît trivial à l’excès. L’horreur du mauvais goût me pousse peut-être dans l’afféterie. » La seconde leçon que lui a donnée la littérature romantique nous a valu des choses charmantes et empreintes d’un défaut tout à fait aimable, mais plus difficile encore à corriger que celui dont nous venons de parler : l’amour exagéré du romanesque. La littérature romantique a été (c’est sa gloire et son malheur) essentiellement une littérature d’imagination et désireuse avant tout de parler à l’imagination: elle n’appelait la collaboration et les sympathies d’aucune autre faculté. Le dédain de la vérité et le dégoût de la réalité sont une des conditions inévitables d’une telle littérature. Si l’on est désireux de parler avant tout à l’imagination, il faut se placer en dehors du possible et accepter l’existence d’un monde chimérique où toutes les rêveries puissent se réaliser. Il ne faut point hésiter ni reculer par crainte de l’absurde : si vous dédaignez la réalité, répudiez-la hardiment, et vous pourrez être poétique; mais évitez à tout prix de vouloir borner l’horizon de vos rêveries, car alors vous couriez risque d’être non plus poétique, mais romanesque. Le romanesque est le péché mignon de M. Octave Feuillet, et c’est grâce à ce péché qu’il existe une contradiction assez marquée entre le choix de ses sujets et la manière dont il les traite. Ses sujets sont généralement pris dans la réalité, et cependant la principale préoccupation de l’auteur est toujours de parler à l’imagination du lecteur. Il essaie d’introduire l’imprévu dans cette réalité connue, au risque d’y introduire l’improbable; il élargit les conditions du possible jusqu’aux limites du chimérique, car il est préoccupé tout autant de présenter un spectacle séduisant qu’un spectacle vrai.

Défauts et qualités, M. Feuillet doit donc beaucoup au romantisme, quoiqu’il soit venu au monde à l’époque où le romantisme avait déjà rendu le dernier souffle. Amour de l’élégance, respect de l’art, penchant au caprice et à la fantaisie, gazouillemens lyriques, recherches de langage, force passionnée, désir de parler à l’imagination, emploi et abus du romanesque, voilà ce que le romantisme expirant lui a enseigné. Toutes ces qualités, il se les est assimilées, il les a faites siennes, il les a fondues avec sa nature délicate, soigneuse, judicieuse, finement morale et spirituellement honnête. Ce mélange un peu singulier au commencement, mais aujourd’hui bien