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faite, tout le monde l’admet, arrache à M. Saint-Marc Girardin. Les écrivains, grâce à Dieu, ne sont point tenus à cette précision de termes qui est un devoir pour la diplomatie, mais un devoir sévère, qu’elle n’accomplit qu’aux dépens de la chaleur du sentiment et du feu du langage. Là où l’exact et utile rédacteur de chancellerie ne voit qu’une opinion qui n’a point prévalu, l’écrivain ému et touché dénonce une politique qui a été vaincue. C’est une exagération, nous l’avouons; mais les éloquentes exagérations sont permises, sachons-le comprendre, aux hommes qui ont épousé avec passion des causes généreuses. M. Saint-Marc Girardin est un de ces hommes. Il n’a point la prétention d’apporter dans la question d’Orient les froids et patiens calculs du diplomate. Dans ce grand débat, le plus grand où pendant bien longtemps encore aient à lutter les intérêts européens, M. Saint-Marc Girardin a pris un parti chevaleresque, mais exclusif. Il s’est attaché avant tout aux intérêts et aux droits des populations chrétiennes victimes du droit de conquête, et encore du droit de conquête exercé par des musulmans. C’est le privilège de ces avocats dévoués des causes malheureuses de ne point tenir assez de compte des difficultés pratiques et des intérêts différens qui viennent entraver leurs efforts, d’être impatiens, d’être même, si l’on veut, excessifs dans la plainte. Pour notre compte, tout en portant un vif intérêt au sort des chrétiens de Turquie, nous ne partageons pas toutes les vues de M. Saint-Marc Girardin sur la question d’Orient; mais nous ne rendons pas seulement justice à la noblesse de ses intentions et au charme de son talent, nous sommes convaincus qu’en remplissant le rôle qu’il a choisi, il rend un grand service à la politique française en Orient. Grâce à l’autorité de sa parole et à la persévérance de son zèle, M. Saint-Marc Girardin recrute aux idées françaises et attire sous l’influence morale de notre pays ces populations chrétiennes d’Orient qui attendent leur délivrance, et qu’on sera trop heureux de trouver disposées à nous entendre le jour où les événemens nous obligeront à chercher en elles les élémens de la régénération de l’Orient. Nous avons une si haute idée des fonctions diplomatiques et en même temps des services rendus par ces illustres avocats des nationalités malheureuses, que nous ne craindrons pas d’égaler le rôle de M. Saint-Marc Girardin à celui d’un ambassadeur.

Que tout le monde soit juste d’ailleurs : si nous avions cru avec trop de précipitation que la politique française s’était identifiée avec l’union des principautés roumaines sous un prince étranger, serait-ce tout à fait notre faute? Autrefois les débats parlementaires nous tenaient au courant de la politique de notre cabinet. Aujourd’hui nous ne pouvons guère la connaître que par de rares communications officielles, ou la deviner dans le langage des organes officieux du gouvernement. Or, depuis deux ans, ces élémens d’information semblaient annoncer chez notre gouvernement le dessein d’obtenir l’entier succès des plans qu’il avait proposés pour la réorganisation de la Roumanie. Tout le monde se rappelle un article imprévu du Moniteur de 1857, dont l’accent fut interprété généralement dans ce sens. En même temps la presse gouvernementale, la même qui critique M. Saint-Marc Girardin, avait pris sur cette question des principautés une singulière attitude d’intimidation vis-à-vis de la Turquie. On eût dit que la politique de 1853,