Ne l’oublions pas néanmoins, les vrais progrès de la liberté se font dans les mœurs publiques par la persévérance de ces volontés fortes qui sont le sel de la terre, et par la fidélité que gardent aux traditions tutélaires les intelligences actives d’un pays. Le barreau français nous donne en ce moment et à ce point de vue de consolans exemples. La conférence des avocats, une de ces rares associations qui perpétuent encore en France la vigueur et l’honneur des professions libérales, vient de se rouvrir cette année sous de nobles auspices. Le nouveau bâtonnier, M. Plocque, a inauguré cette studieuse réunion du jeune barreau parisien par un discours d’une rare distinction. On sait que dans cette circonstance la coutume veut que le bâtonnier retrace devant ses jeunes confrères les devoirs de la profession. Cette haute et touchante leçon morale, M. Plocque ne l’a point demandée aux idées dogmatiques ; il est allé la chercher toute vivante dans d’immortels exemples. Il a présenté à ses confrères les deux grandes figures, Démosthène et Cicéron, qui attachent les souvenirs et la destinée du barreau aux scènes les plus éclatantes de la vie politique et de l’histoire. Les deux plus grands avocats de l’antiquité ont été également ses premiers écrivains, ses plus grands orateurs politiques, ses plus honnêtes citoyens : tous deux aussi ont été des martyrs du patriotisme et de la liberté. Cette glorieuse solidarité du talent, du patriotisme, de la liberté et du malheur a été exposée et saisie par M. Plocque avec une simplicité élevée et une émotion généreuse. Un jeune avocat, M. Guibourt, a lu ensuite l’éloge d’un de ces anciens du barreau de Paris, M. Billecoq, une de ces pures renommées professionnelles, municipales pour ainsi dire, qui, pour ne point arriver au grand public, n’en méritent pas moins de vivre dans les souvenirs, car ce sont ces hommes fermes et modestes qui maintiennent les traditions de leur corps à travers les jours difficiles et transmettent à de plus grands qu’eux-mêmes la lumière bienfaisante qu’ils feront un jour resplendir. Tel fut surtout le mérite de Billecoq, ancien avocat au parlement de Paris, qui traversa avec une intrépide constance dans les opinions libérales la terreur, le directoire, le consulat, et fut un de ceux qui reconstituèrent, au commencement de ce siècle, le barreau de Paris. Les honnêtes gens comme Billecoq servent encore après leur mort leur pays et leur profession, puisque, dans leur modeste mémoire, des jeunes gens comme M. Guibourt viennent puiser ou fortifier les inspirations morales, les sentimens de courage et d’indépendance qui doivent animer leur carrière. Il ne faut point passer avec indifférence devant ces simples et utiles réunions où une corporation éclairée entretient ses vieilles traditions. Les noms de ceux qui y prennent part sont inconnus encore, mais c’est du sein de ces inspirations collectives que sortent au moment opportun les talens qui sont la gloire d’une société et d’une époque. Le barreau a eu dans l’histoire, et dans l’histoire la moins éloignée de nous, des époques de puissance. Nous nous souvenons tous des plaintes injustes et irréfléchies qui dénonçaient la domination des avocats dans le monde politique. Hélas! la domination des avocats est passée, comme celle des journalistes, comme celle des parlementaires. Que les avocats n’aient point de regrets : renfermés dans leur profession, ils en font non-seulement une des plus utiles, mais, à notre gré, une des plus glorieuses de notre temps. Ils
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