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leurs qu’il n’est que régent, et que le roi régnant vit encore. Dans une telle position, en demandant qu’il n’y eût point de rupture affectée avec le passé, et que le progrès prît sans saccade son point de départ dans le présent et ne fût qu’une satisfaction graduelle donnée aux besoins démontrés du pays, le prince n’a fait qu’obéir à un sentiment élevé de convenance. Si nous voulions définir d’un mot emprunté aux dénominations anglaises le caractère du prince de Prusse tel que nous croyons le comprendre, nous dirions qu’il a le tempérament politique d’un tory. Le prince de Prusse ne va pas au-delà d’un sage et honnête juste-milieu. Certes nous sommes plus libéraux que lui ; mais, bien loin de voir dans le tour d’esprit qu’on lui prête un obstacle au développement libéral de la Prusse, nous y voyons plutôt une garantie pour la sécurité des progrès que nous aimons. L’époque actuelle a durement éprouvé les désenchantemens qui naissent de l’illusion des promesses. Le prince de Prusse promet peu, mais il ne trompera personne ; il ne marchera pas vite, mais il ne se jettera pas dans ces douloureuses réactions qui ont dérouté et fatigué depuis dix ans les peuples du continent européen.

Nous voudrions pouvoir espérer pour l’Espagne ce que nous attendons de la Prusse. L’Espagne, elle aussi, vient de terminer ses élections. Il serait oiseux de se livrer au dénombrement des diverses fractions qui composent le nouveau parlement espagnol. Tous les élémens politiques de l’Espagne y sont représentés, et les fractions modérées, si on les suppose unies, y sont assurées d’une majorité considérable. S’il s’agissait d’un autre pays, l’on pourrait donc compter sur l’existence du cabinet présidé par le maréchal O’Donnell, et sur le succès de l’œuvre de transaction et de progrès modéré qui semble devoir être l’honorable vocation de ce ministère. L’union du parti modéré en Espagne doit malheureusement être reléguée parmi les utopies. Les divisions personnelles qui décomposent sans cesse les majorités parlementaires dans ce pays agrandissent démesurément l’influence de la couronne, provoquent à tout instant son intervention, et dans cette situation perpétuellement vacillante comment pourrait-on espérer qu’une reine, une femme, pût apporter cette fixité et cet aplomb qui manquent au gouvernement espagnol? Les Espagnols sont injustes envers leur reine, quand ils attribuent aux caprices de la camarilla la fragilité de leurs ministères : ils ne devraient accuser que leur propre versatilité dans leurs associations politiques et ce mal des divisions personnelles dont ils ne veulent point se guérir. L’incident qui a entraîné la retraite du ministère du général Quesada ne vient-il pas de prouver que l’intrigue avait fait son œuvre même au sein du cabinet? Le général Quesada a la réputation d’un homme avisé, et ce n’est point par étourderie qu’il aura présenté à la signature de la reine des promotions qui n’avaient pas été concertées en conseil des ministres. Il avait dû prévoir, et d’autres avec lui apparemment, la susceptibilité que témoignerait le maréchal O’Donnell. Il y avait donc derrière cet incident une intrigue qui spéculait sur la démission du maréchal. La fermeté et la décision du président du conseil et le bon esprit de la reine ont déjoué ce manège. Le cabinet sera-t-il aussi heureux contre d’autres manœuvres? Nous le souhaitons, car il nous semble difficile en Espagne de constituer une combinaison plus forte et mieux intentionnée que celle qui est