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avec les Anglais, bien que leur traité d’alliance, datant de 1809, n’eût jamais été violé. Il ne les voyait pas sans un secret déplaisir s’installer commercialement dans le Bas-Indus, et, poussant peu à peu en avant leurs stations militaires, préparer à tout événement une base d’opérations défensives plus solide que celle qu’ils avaient déjà sur le Sutledje. Vainement protestaient-ils, et de bonne foi, qu’ils entendaient par là se prémunir contre les menaçantes éventualités d’une invasion russe : soupçonneux comme il avait bien le droit de l’être, Runjet-Singh les accusait intérieurement du mensonge, et s’inquiétait de les voir tourner sa frontière méridionale de manière à l’investir ainsi peu à peu. Il se rappelait sans doute un ancien proverbe oriental dont la teneur est « qu’on n’est pas roi de l’Hindostan si d’abord on n’est maître du Caboul. » Or le Pendjab et le Cachemyr sont justement entre l’empire anglo-indien et ce pays, ainsi réputé la clé de l’Inde parce qu’il a été traversé depuis Alexandre par tous les conquérans qui s’y sont succédé.

L’ascendant toujours croissant de la Russie sur la Perse s’était traduit, en 1835, par une invasion de cette dernière puissance qui la rapprochait singulièrement du Pendjab, puisqu’on allant assiéger Hérat, le shah se proposait de réclamer de prétendus droits sur Candahar et Ghuznie. En outre les chefs afghans, effrayés du voisinage de Runjet-Singh, sollicitaient le patronage du tsar et offraient de le payer en aidant les Persans à marcher ainsi vers l’Indus. On pouvait, on devait se méfier de Dost-Mohammed, le souverain du Caboul, qui, dans sa crainte des Sikhs, demandait appui tantôt au gouverneur-général de l’Inde, tantôt au tsar et au shah. De cette situation assez compliquée, dont l’Angleterre s’exagérait peut-être les difficultés et les dangers, sortit la guerre des Afghans, qui avait pour but de détrôner à Caboul et à Candahar les souverains suspects, et de les remplacer par des créatures du pouvoir anglo-indien. Entreprise en vue de périls simplement possibles, et qu’il eût mieux valu attendre de pied ferme, sans se précipiter ainsi au- devant des aventures, elle entraîna les plus graves conséquences. Dost-Mohammed vaincu sortit de Candahar et chercha refuge à Bockhara, laissant son fils prisonnier aux mains des Anglais et sa capitale au pouvoir du rival qu’ils lui avaient suscité. En revanche, les Afghans irrités en appelèrent plus haut que jamais à la protection de la Russie, et le tsar, loin de rejeter cet appel, fit marcher des troupes du côté de Khiva. Sa petite armée, il est vrai, se perdit dans les neiges désertes, et quelques soldats à peine survécurent pour raconter ce désastre; mais ce n’en était pas moins là un premier pas vers l’Inde fait par une puissance persévérante et qui ne recule guère. Puis, en novembre 1841 et dans les premiers jours