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désirs du commissaire en chef par intérim. Si, confiant, comme tant d’autres officiers anglais, dans la solidité, la fidélité de ses soldats hindous, le brigadier eût seulement ajourné l’accomplissement des mesures qui lui étaient prescrites, le Pendjab était perdu sans retour.

Le bal, qui n’avait pas été contremandé, eut lieu le 12 au soir; on y vit quelques visages assombris, il y circula plus d’une rumeur étrange : rien néanmoins ne transpira des résolutions adoptées, et les danses venaient à peine de finir, que trois compagnies du 81e, sous les ordres du colonel Smith, s’acheminaient silencieusement vers la citadelle de Lahore. Dix hommes par compagnie avaient de plus reçu ordre de coucher tout habillés. Enfin, à quatre heures du matin, le régiment entier, mis sous les armes, reçut avis d’apprêter ses munitions. La curiosité des soldats était naturellement excitée au plus haut point par ces préparatifs inusités : ils se questionnaient du regard, et quelquefois même à voix basse; mais pas un homme ne se doutait de ce qui allait suivre. Laissant les casernes sous double garde, les six compagnies ainsi réunies se portèrent sur le champ de parade, où on les forma en colonnes contiguës à l’extrême droite du terrain. Derrière ces colonnes, l’artillerie vint se placer. Arrivaient au même moment, sur le même point, les masses armées des cipayes qu’on plaçait dans le même ordre, c’est-à-dire en colonnes et côte à côte du régiment anglais; la cavalerie était à l’extrême gauche du terrain. Du haut des terrasses de l’Anar-Kullee, palais occupé par M. Montgomery, les principaux fonctionnaires, formés en un petit groupe, contemplaient avec anxiété cette scène dont peut-être ils n’avaient pas tous les secrets. Une seule pensée, nous dit l’un d’eux, absorbait tous les esprits : « les cipayes ont-ils déjà chargé leurs armes? »

Cependant, à la tête de chaque régiment, on lisait, par ordre du brigadier, le décret du gouverneur-général, qui, comme nous l’avons raconté, avait quelques semaines auparavant licencié le 34e à Barrackpore. La lecture terminée, le brigadier Corbett, s’avançant tour à tour vers les différens corps indigènes, à commencer par le plus ancien, leur adressa une allocution sommaire où il enveloppait d’éloges flatteurs quelques allusions encore assez vagues aux mesures qu’il regrettait d’avoir à prendre; puis, sans donner de loisir à la moindre réflexion, le commandement partit de la bouche des officiers, prompt comme l’éclair. Les troupes obéirent machinalement, et, par un mouvement de conversion, l’ordre de bataille se trouva brusquement modifié. Les cipayes étaient à présent refoulés, toujours dans leur ordre primitif, sur le terrain quitté par les six compagnies européennes; celles-ci leur faisaient front derrière les canons braqués sur les colonnes profondes qu’il s’agissait de réduire