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plice de sa propre timidité. Cette franchise dans les indications de la forme, cette fierté de pinceau qui, à défaut de beauté idéale, caractérisent les œuvres du maître vénitien et en constituent la grandeur pittoresque, ont fait place à des intentions de dessin un peu indécises. Le coloris lui-même, au moins quant à l’expression des détails, prend trop souvent un caractère douteux. Si l’effet général de la planche se détermine avec une ampleur remarquable, si par la vigueur de la teinte locale l’ensemble des figures se détache nettement sur l’architecture et sur le ciel qui servent de fond à la scène, l’harmonie qui unit ces figures entre elles est bien près de se résoudre en monotonie. Rien de moins facile, il est vrai, que de conserver à chacun des personnages assis à ces deux longues tables sa physionomie propre et sa carnation distincte sans rompre l’unité de l’aspect ; rien de plus chanceux que d’exprimer la variété infinie des objets accessoires, l’éclat ou le ton velouté de ces étoffes, sans morceler le tout en échantillons de coloration. Il ne fallait pas cependant, par un sentiment excessif du danger, exagérer à ce point la prudence. M. Prévost a fait depuis longtemps ses preuves d’habileté. On se rappelle ses belles planches à l’aqua-tinte d’après Léopold Robert, — l’Enterrement surtout, l’un des meilleurs ouvrages en ce genre qu’ait produits l’école moderne. D’autres pièces gravées au burin ont achevé de donner la mesure de ce talent, fort réservé dans la forme, mais au fond bien doué et bien muni. Le tort de M. Prévost est en général de ne pas oser tirer un parti complet de ses heureux instincts et de ses études : le Repas chez Simon le Pharisien, malgré le mérite sérieux de l’exécution, se ressent un peu trop de cette défiance. Ajoutons que dans la traduction d’une peinture aussi robuste, aussi largement touchée, les délicatesses de procédé ou d’outil, la recherche des petites finesses de la pratique qu’accusent certaines parties, — la figure par exemple de la Madeleine agenouillée aux pieds de Jésus-Christ, — ne semblent guère de mise. On dirait que pour se faire pardonner à la fois le choix d’un modèle assez contraire aux goûts de l’époque et son propre talent, naturellement grave, M. Prévost a voulu présenter çà et là ce qu’on pourrait appeler des circonstances atténuantes et concilier avec les conditions de sa tâche les exigences du temps où il l’accomplissait.

Les quatre planches dont nous venons de parler, et que nous avons analysées de préférence parce qu’elles émanent de talens qui méritent d’être comptés parmi les plus considérables de l’école actuelle, n’expriment pas seulement des inclinations personnelles et des modes de travail particuliers ; elles résument aussi certaines tendances communes à tous les artistes qui manient le burin au-