Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/798

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distributions; elle se payait tout cela, avec quoi encore? toujours avec l’argent des sujets. Et comme ce n’étaient pas ses propres deniers qu’elle administrait, ni les fruits de son travail, mais ceux du travail d’autrui, elle les administrait mal, et perdait en dépenses folles les ressources des services publics. Enfin toutes les misères privées ou publiques, toutes les espèces d’infériorité que l’esclavage entraîne avec soi, Athènes y était condamnée, ainsi que le monde ancien tout entier. Il ne s’agissait donc pas, pour la délivrer des maux qu’elle souffrait ou la mettre à couvert des périls dont elle était menacée, de restreindre chez elle la démocratie; tout au contraire il aurait fallu l’élargir, là comme dans toutes les cités du monde antique, l’étendre jusqu’où la démocratie moderne s’est étendue, et faire de l’empire d’Athènes, ou plutôt de la Grèce elle-même, ce que nous appelons une nation, dont tous les membres, égaux et libres, servent au même titre la même patrie, et ne sont sujets que de la loi. Dans la démocratie véritable, la démagogie disparaît, ou du moins elle ne saurait être qu’un accident, un désordre passager et bientôt vaincu, puisqu’elle n’est autre chose que la passion de quelques-uns s’essayant contre la raison de tous, qui ne peut manquer de rester maîtresse.

Le temps de ces vérités n’était pas malheureusement et ne pouvait être le temps des socratiques. Nul n’était tenté alors, en face des excès de ce qui paraissait la liberté, de se sauver par une liberté plus réelle et plus large, dont on n’avait aucune idée. A la populace les sages ne s’avisaient pas d’opposer un peuple, mais une classe supérieure : c’était ce qu’ils trouvaient établi près d’eux, dans les cités doriennes, sous le nom d’aristocratie ou de gouvernement des meilleurs. Je dis près d’eux, mais pourtant à distance, à cette distance où les défauts ne s’aperçoivent pas, où il n’y a que les mérites qui soient en lumière; ils en entendaient parler plutôt qu’ils ne le connaissaient, ils l’imaginaient plutôt qu’ils ne le voyaient. La démocratie était pour eux la réalité, et l’aristocratie l’idéal : ils se donnèrent imprudemment à l’aristocratie. Quelquefois ils se déclarent pour une dictature, mais avec la condition clairement exprimée que cette dictature sera ou exercée ou dirigée par un philosophe. C’est la thèse du Dialogue politique de Platon.

Il serait bien inutile de combattre des doctrines condamnées aujourd’hui sans retour. La dictature de la philosophie, cette espèce de gouvernement ecclésiastique, où l’église est une école, ne paraît pas plus près que la théocratie elle-même d’être acceptée par les profanes, et quant à l’aristocratie, le monde moderne va la repoussant de plus en plus. Je ne m’arrêterai donc pas à marquer les erreurs de droit et de fait où tombaient les philosophes en attaquant