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pelle....) est une mer d’émotions variables qui contrarient la régularité des fonctions nutritives.» Cette remarque peut être fort vraie et ne me choquerait nullement dans un livre de médecine sur la constitution physique de la femme, mais ici elle me choque comme une remarque intempestive. « Dans l’amour, dit quelque part M. Michelet, il n’y a rien de vulgaire, rien de bas. Ce grand enchanteur transforme tout ce qu’il touche. » Pour prouver sans doute cette assertion, l’auteur entre dans les détails les plus secrets, et expose au grand jour les opérations cachées de la nature. La physiologie abonde et surabonde, et, quoique M. Michelet soit par nature spiritualiste, elle finit par être la seule et unique explication de l’amour et de toutes les passions qui s’y rapportent. L’âme est représentée comme enveloppée dans les fatalités les plus humbles, maîtrisée par la digestion et la périodicité de certaines fonctions. Seize jours sur vingt-huit, paraît-il, la femme n’a aucune volonté, grâce à un certain flux mensuel qui préoccupe l’auteur outre mesure. Il ne m’est pas indifférent de savoir que la chimie moderne a prouvé la pureté du flux mensuel; mais il m’est désagréable au possible de voir l’auteur insister avec acharnement sur cette loi de la constitution féminine. De toutes les pages que l’auteur a consacrées à ces détails physiologiques, je ne puis faire exception que pour un seul chapitre, le chapitre sur l’accouchement, qui est d’une poésie atroce et effrayante, mais d’une poésie réelle. S’il est vrai que l’amour est le frère de la mort, comme les poètes l’ont toujours répété, on doit avouer, après la lecture du volume de M. Michelet, qu’il est bien aussi quelque peu cousin-germain de la maladie.

En tout cas, il est certainement proche parent de la ruse. Nous ne reprocherons donc pas bien vivement à M. Michelet la partie casuistique de son livre. Que le mari soit confesseur ou non, la casuistique appliquée sera toujours d’un grand emploi dans le mariage. La logique sévère, les règles inflexibles et légales ne sont pas toujours bonnes pour le gouvernement, ni pour le bonheur d’un ménage, et par conséquent tout homme qui, dans nos sociétés efféminées, n’est pas un peu casuiste risquera fort de jouer un de ces deux rôles désagréables, dupe ou tyran. Les actions des femmes sont toutes instinctives, spontanées et de tact; celles des hommes sont toutes raisonnées, réfléchies et volontaires. Un abîme sépare la vie morale chez les deux sexes, et cet abîme ne peut être franchi que par un grand élan passionné, ou, à défaut de cet élan impossible la plupart du temps dans le mariage), que par toute sorte de ruses ingénieuses, d’aimantes précautions, de planches de salut lancées dans le vide, de cordes tendues par une main amie. Maintenant cette casuistique a-t-elle des limites légitimes? Non,