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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/956

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budget et les questions qui s’y rattachent demeureront pour le public une sorte d’algèbre aride et ennuyeuse, il existera une lacune funeste dans l’intelligence politique de la France.

M. le ministre des finances, dans le rapport qu’il vient de soumettre à l’empereur, exprime le regret que les matières financières soient généralement peu connues et mal appréciées ; nous partageons ce regret. Nous ne méconnaissons pas cependant les progrès réels que le public a accomplis depuis quelques années dans cette branche de son éducation. Il est redevable de ces progrès au concours que l’esprit d’association a prêté à la grande industrie, et surtout à l’industrie des chemins de fer. Un grand nombre d’actionnaires lisent couramment aujourd’hui dans ces rapports annuels des compagnies, qui ne sont que de petits budgets rétrospectifs. Il ne faut qu’un peu plus d’attention pour comprendre le budget de cette vaste compagnie qu’on nomme l’état. Quand Mazarin mourant donna son intendant Colbert à Louis XIV, il dit au jeune roi : « Colbert administrera vos finances comme celles d’une maison bien réglée. » De notre temps, Mazarin eût dit : « comme celles d’une compagnie bien administrée. » C’est à nous maintenant d’être des actionnaires avisés de l’état, c’est à nous de créer des Golbert et de les inspirer ou de les conduire par notre actif et intelligent contrôle, c’est à nous de leur dire : « Administrez bien notre compagnie ! Avant tout, messieurs, qu’on voie clair dans vos comptes ! Réduisez, réduisez sans relâche vos frais d’exploitation, et sachez manier assez habilement vos tarifs pour nous assurer de bons dividendes ! »

Un éloge qu’on ne saurait refuser à M. le ministre des finances, c’est justement d’être clair dans ses comptes. M. Magne, orateur parlementaire si net dans les questions d’affaires, où il avait déjà consacré sa réputation avant 1848, a porté au ministère cette lucidité d’esprit et d’exposition qui est une qualité éminente en matière de finances. Le rapport qu’il vient de présenter à l’empereur est plutôt l’exposé de notre situation financière que l’analyse et la discussion du budget de 1860. Les faits dont ce rapport nous informe n’en offrent pas moins un très haut intérêt. Nos budgets étaient placés, depuis plusieurs années, sous le poids de charges exceptionnelles que leur avaient léguées les insuffisances des budgets précédens. L’année présente avait toujours à répondre du passif des années antérieures. Ce fardeau du passé enlevait à l’homme d’état économiste la faculté de se mouvoir dans le budget avec intelligence et liberté. C’est la fin de cette période de fatalisme financier, c’est le commencement de la période de la liberté des budgets, c’est le moment où chaque année n’aura plus à répondre que d’elle-même que nous annonce M. Magne, et en même temps il nous signale par des faits éclatans la puissance productive toujours croissante des impôts existans, qui se traduit chaque année en augmentations continues de recettes. Suivons-le de plus près dans ces intéressantes informations.

Le fléau des budgets des dernières années a été ce que l’on nomme dans notre langue financière les découverts, c’est-à-dire les excédans des dépenses sur les recettes, par lesquels se soldaient les budgets antérieurs. Ces découverts s’élevaient au commencement de cette année, suivant l’exposé des motifs du budget de 1859, à la somme énorme de 965 millions. Cette