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le temps de cacher mon tricot. — Thérèse, me dit-il, pour qui ces belles bretelles-là? — Je me mis à rougir, et il devina la chose. Il aurait fallu le voir alors; il sautait de joie par-dessus les buissons. — Sais-tu ce qu’il nous faut faire, Thérèse? ajouta-t-il quelques instans après en me prenant les deux mains, il faut nous marier ensemble; qu’en dis-tu? — Bien volontiers, mais nous sommes encore trop jeunes. — Nous attendrons une année ou deux; tu me promets? — De tout mon cœur! Il faudra parler à ma mère. — Au bout de quelque temps, il commença à se déranger. J’appris d’abord qu’il allait au cabaret, puis qu’on l’avait vu avec des contrebandiers; vous pouvez bien croire que je pleurai toutes les larmes de mes yeux. Quand il voulut faire la demande à ma mère, je le renvoyai à un an en exigeant que pendant tout ce temps-là je n’entendrais parler ni de contrebande ni de cabaret. Il me le promit, et il a tenu sa parole, monsieur le curé; vous-même, sans en savoir la cause, vous avez remarqué son changement de conduite, et vous en étiez tout joyeux. Au bout d’un an, il vint trouver ma mère, comme nous en étions convenus. Je croyais qu’il avait demandé votre consentement; j’ai su plus tard qu’il n’avait pas osé, mais qu’il comptait le faire dès que la chose aurait été arrangée chez nous. Vous savez ce que répondit ma mère; Ferréol eut beau dire et prier, elle ne voulut rien entendre. Le découragement prit alors ce pauvre garçon : on le vit aller au cabaret la tête haute et en plein jour. J’appris bientôt qu’il s’était décidément fait contrebandier. Depuis ce temps-là, je l’ai revu deux fois, et deux fois je lui ai dit de changer de conduite, ou qu’autrement tout était fini entre nous. Vous en savez maintenant autant que moi, monsieur le curé. Encore une fois, pardonnez-moi mes mauvaises paroles de tout à l’heure; je pensais à Ferréol, à Tony..., j’avais perdu la tête, et je ne savais plus ce que je disais.

L’abbé Nicod avait l’âme trop évangélique pour garder, en présence d’un tel repentir, le moindre ressentiment contre Thérèse. Il lui accorda un plein et entier pardon, et la jeune fille prit congé de lui. Au moment où elle s’apprêtait à descendre la brèche par laquelle elle était entrée dans le jardin, elle entendit prononcer, du côté de la ferme Bulabois, le nom de Ferréol. Elle fit quelques pas de plus dans le jardin, et aperçut devant la ferme même un vieux chaudronnier ambulant, qui, tout en fondant ses cuillères, racontait des histoires de contrebande à une demi-douzaine de villageois. La jeune fille se glissa derrière le rucher, et se mit à écouter. — Ferréol, disait avec une emphase des plus comiques le vieux chaudronnier, en voilà un malin ! c’est moi qui vous le dis. Pas plus loin qu’hier, savez-vous ce qu’il a fait? Ah ! bon Dieu! c’est ça qui