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techniques, un patriotisme contenu avec peine laisse échapper par intervalle de discrètes aspirations. Il s’approche du régime représentatif autant qu’il le peut, il le côtoie, — il le prépare. Rome, d’autre part, n’est point offensée : l’instruction publique est aux mains des jésuites, et le code civil, en des matières de sa compétence, se récuse respectueusement et en réfère à son maître et seigneur, le droit canon. Je ne sais quels pressentimens se propagent pourtant, et le ministre Solar della Margarita, devancé déjà, en plein absolutisme, par d’imperceptibles concessions au droit nouveau, comprend, — témoin son mémorandum, — que le cœur du roi n’est pas avec lui. — Avec qui donc est le cœur du roi ? — Avec César Balbo.

César Balbo formait, avec Gioberti et Maxime d’Azeglio, le centre héroïque de l’Italie nouvelle. Le regard s’arrête volontiers sur de pareilles figures, au sortir du spectacle auquel on vient d’assister. Ils sont, à eux trois, l’honnêteté, la conscience, l’enthousiasme, et leurs erreurs de théorie et de pratique sont compensées, au point de vue moral, par la ferveur de sentiment qui les attache à leur cause. César Balbo se fit connaître le premier par son remarquable ouvrage sur la vie de Dante. L’abbé Gioberti vint ensuite et publia en 1843, à Bruxelles, son Primato degli Italiani, appelant toutes les forces de la péninsule, depuis le pape et les jésuites jusqu’aux Autrichiens, à la régénérer : dernière sommation pacifique de la justice opprimée avant sa déclaration de guerre. Les jésuites et les Autrichiens ayant refusé, Gioberti déclara qu’ils avaient forfait à la religion et à la patrie. Pendant ce temps, Maxime d’Azeglio, heureux et séduisant caractère, aimé dans toute l’Italie, qu’il parcourait souvent, reprochait aux factions démocratiques leurs inutiles complots, et prêchait la concorde entre tous les Italiens, et entre eux seuls. Gioberti et d’Azeglio combattaient ainsi dans deux foyers opposés le mal que Balbo déplorait, les sociétés secrètes ; l’un s’était chargé des jésuites, l’autre de Mazzini. Le premier, frère indomptable de l’indomptable Lamennais, finit par ne plus croire à la papauté pour avoir trop présumé du pape ; le second, génie profondément sympathique, éleva le niveau moral des populations et symbolisa, sous ce climat qui engendre d’incomparables artistes, l’ennoblissement de l’art par la liberté[1]. Quant à Balbo, théoricien plus froid et plus rigoureux, il résume en lui-même ce qu’il y a de solide dans ces

  1. Maxime d’Azeglio fut d’abord connu comme l’un des paysagistes les plus estimés d’Italie. Son premier roman, Ettore Fieramosca, fut mis au rang des Fiancés, et c’était stricte justice. Niccolò de’ Lapi, publié en 1840, précéda de peu de mois son fameux livre sur les événemens de la Romagne, qui valut à sa femme, la fille de Manzoni, une expulsion solennelle de Milan.