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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/261

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Montezuma que les Aztèques mexicains parvinrent à leur plus haut point de splendeur, et c’est vraiment un spectacle étrange que celui de ce peuple avec son mélange de civilisation et de barbarie. Il a des villes somptueuses, des édifices splendides ; ses campagnes sont fertilisées par une culture habile et expérimentée ; ses ingénieurs élèvent des digues, bâtissent des ponts qui, par leur solidité et la hardiesse de leur construction, feront l’étonnement des Européens ; mais ses divinités terribles demandent du sang, et, pour satisfaire leur soif toujours renaissante, des milliers de victimes, arrachées à leurs travaux paisibles, défilent, sous tous les règnes et à. toutes les solennités, devant la foule avide des princes, des prêtres et des guerriers, et vont finir leur vie sur la pierre sanglante du sacrifice. Le puissant monarque Ahuitzotl en égorge, en l’an VIII tochtli (1487 de notre ère), quatre-vingt mille, disent tous les documens, pour célébrer la dédicace d’un temple. Dans la cinquième année de son règne (1506), le dernier Montezuma juge insuffisant le nombre des victimes que l’on engraissait pour la grande fête du renouvellement du feu sacré ; il déclare un jour de combat à la ville d’Atlixo, et les guerriers les plus illustres sont invités à s’y trouver des deux côtés. Ils y concourent à l’envi et se distinguent par les exploits les plus glorieux. Nombre de braves tombent après des faits d’armes héroïques ; enfin la journée se décide en faveur des guerriers de Mexico par la capture de Xiuthlamin, l’esclave du feu. Peu après a lieu la fête. La veille, tous les feux sont éteints, et à la nuit, les prêtres, revêtus du costume de leurs divinités, se mettent en marche à la tête d’une longue procession ; au milieu d’eux, le roi s’avance recueilli ; il est suivi d’une foule immense. Un des prêtres agite dans ses doigts les petits bâtons dont jaillira l’étincelle destinée à ranimer le feu sacré : épreuve solennelle et terrible, car si elle ne réussit pas, le dernier soleil aura lui sur la race humaine, les ténèbres de la nuit envelopperont pour toujours le globe, et les mauvais génies viendront, sous des formes fantastiques, dévorer les hommes. À minuit les prêtres montent au sommet de la pyramide de Tlaloc ; le noble captif Xiuhtlamin est étendu sur la pierre fatale, et, au moment où les pléiades sont en conjonction au zénith du firmament, le pontife lui ouvre la poitrine et en tire le cœur palpitant. Alors le prêtre chargé de rallumer le feu étend ses deux bouts de bois et les agite sur la plaie sanglante. L’étincelle jaillit, le feu est rallumé. Toutes les bouches font entendre des actions de grâces, et dix mille victimes tombent sous le couteau ; mais le Mexique n’est pas sauvé pour cela : vingt ans encore, et cet empire aux pratiques abominables va s’écrouler.

Dans cette histoire étrange il y a des épisodes que l’on croirait empruntés aux féeries des Mille et Une Nuits. Parmi ses épouses et ses concubines, le dernier grand roi de Tetzkuko en avait une appelée Chalchiuknenetl, qui était fille d’un puissant prince. Comme elle était fort jeune, le roi la faisait élever dans un palais séparé, et il lui avait donné une maison considérable. Elle, malgré sa jeunesse, était rusée et pervertie. Se voyant dans son palais maîtresse absolue et entourée de serviteurs dévoués, elle se livra à tous les désordres. Lorsqu’elle voyait un beau jeune homme, elle se le faisait amener en secret, et le faisait tuer après avoir satisfait sa passion. Ensuite elle commandait une poupée exactement semblable, qu’elle faisait revêtir de riches vêtemens et de bijoux, et que l’on plaçait dans la salle de réception.