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de recommander aux navigateurs de passer au large de cette zone réprouvée. Le conseil sera toujours bon à suivre en temps de paix : les choses faciles sont en marine les seules bonnes ; mais, si c’est chose de peu d’importance qu’un vaste espace interdit à la navigation sur des côtes reculées, rien n’est indifférent aux portes de Cherbourg : les moindres abris, les moindres obstacles empruntent à ce voisinage un caractère stratégique. M. Beautems-Beaupré et ses collaborateurs sont entrés en 1832 et en 1833 dans le labyrinthe, ils en ont sondé les replis et y ont jalonné des chenaux où chemineraient en sûreté de grands bâtimens conduits par de bons pilotes. La connaissance de ces passages aura son prix en temps de guerre. Il est sensible que la construction d’une digue sur le raz du Cap-Lévy produirait sur son revers oriental, quoique sur une moindre échelle, des effets analogues à ceux qui se manifesteraient dans l’anse ouverte à l’ouest : elle amortirait les courans, briserait les coups de mer du large, et donnerait une véritable valeur nautique à l’anse de la Mondrée, qui gît derrière le cap, à 13 kilomètres au nord-est de Cherbourg. Cette anse a 2,000 mètres d’ouverture du Biéroc à la Blanche-Roche et 1,200 de profondeur : toujours accessible en molle-eau, l’ancrage sur fond de vase y est excellent ; mais, quoique abritée de trois côtés, elle est trop violemment battue par les vents du nord pour qu’il soit possible en l’état d’y rien fonder. L’établissement de la digue du raz faciliterait singulièrement l’amélioration de la Mondrée, et y déterminerait infailliblement la création d’un des bons ports de pêche du Cotentin. Les marins de Fermanville, dont cette digue protégerait le territoire, comptent parmi les plus intrépides de la Manche. Les écueils dont est parsemée la mer entre le Cap-Lévy et la pointe de Barfleur se couvrent de varechs dont les longues chevelures verdâtres, arrachées à bras d’hommes ou par les tempêtes, livrent à l’industrie la soude qu’elles recèlent et à l’agriculture d’énormes masses d’engrais. Sur 340,000 mètres cubes de varechs que donnent annuellement les côtes du département de la Manche, la commune de Cosqueville en recueille à elle seule 200,000 dans le voisinage de l’anse de la Mondrée. Ces pâturages sous-marins sont habités par des myriades d’êtres vivans, et la pêche y trouve aussi bien que la culture un champ d’exploitation très susceptible d’être fécondé : les sciences naturelles auraient aussi d’amples moissons à en retirer, et ce vaste laboratoire d’expériences sur la botanique et la zoologie de la mer ne sera sans doute pas toujours vainement ouvert aux portes d’un chef-lieu d’arrondissement maritime.

En doublant la pointe de Barfleur, nous trouverions le port, déchu de son ancien éclat, qui lui donne son nom, et le champ de