Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les tanguières placent à côté des mielles le plus énergique élément de fertilisation qu’on y puisse appliquer. Les coquilles marines broyées qui forment les tanguières fournissent le principe calcaire dont l’association avec des sables siliceux a déjà fécondé bien des plages désertes. Sur des points nombreux, entre lesquels se remarquent au-dessous de Coutances les potagers d’Agon, la mielle cultivée est limitrophe de la mielle sauvage, et des tapis de verdure, encadrés dans des sables nus auxquels ils ressemblaient naguère, montrent à quelles transformations se prêterait leur voisinage. Aux portes de Granville notamment, les miracles des miellés de Tourlaville se renouvelleront au premier signal sur un bien plus vaste champ ; là aussi s’offrent des masses d’engrais perdus et des quantités de bras disponibles. Qu’on ne croie pas qu’il s’agisse ici d’une superficie insignifiante : les terres incultes comprises dans les communes de la partie du littoral qui s’étend entre le cap de La Hague et la baie du Mont-Saint-Michel embrassent 14,251 hectares ; la plus grande partie en est à l’état de mielles, et appartient, comme relais de la mer, au domaine public. L’état gagnerait beaucoup à l’aliénation, fût-elle gratuite, de ces terres inertes ; sans aucune valeur entre ses mains, les mielles ne peuvent en acquérir que par le travail et les capitaux qui s’immobiliseront dans leur sein : en les faisant passer dans le domaine privé, l’administration des finances créerait une nouvelle matière imposable, et l’on peut ajouter qu’elle ferait naître aussi des matelots, car c’est à des familles de marins qu’est presque exclusivement dévolue la culture des terres dans les communes du littoral.

Toutes les terres incultes du département de la Manche, qu’elles appartiennent à l’état, aux communes, à quelques autres établissemens de mainmorte ou aux particuliers, forment une superficie de 46,000 hectares. La portion de ces terres qu’on ne pourrait ni cultiver, ni boiser, est très restreinte. Aucun autre territoire en France ne se prête mieux à la mise en valeur des terres abandonnées, et s’il était nécessaire de chercher hors de nos frontières des exemples encourageans, on les trouverait dans un pays dont le sol et le climat présentent la plus frappante analogie avec ceux du Cotentin. On sait qu’un des grands actes de l’administration de M, Pitt fut la conversion des biens communaux de l’Angleterre en propriétés privées : la culture fit ainsi la conquête d’un petit royaume intérieur ; les meilleurs procédés agricoles y furent appliqués sans gêne et sans préjugés, et les entreprises faites sur les terres de cette origine ont contribué plus que toute autre cause à imprimer à l’agriculture britannique l’essor qui l’a rendue l’objet de l’envie et de l’admiration de l’Europe.