Le premier acte du nouveau ministre, qui, en entrant dans les passions de sa protectrice, travailla tout d’abord à établir son importance personnelle, fut de compléter le système autrichien par un second traité de Versailles, et cet acte sans précédent mit à l’entière disposition de Marie-Thérèse toutes les armées et tous les trésors de la France[1] ; mais ni cette désertion des intérêts français, dissimulée d’ailleurs par Choiseul avec un art infini, ni cette audacieuse obstination à lutter contre la mauvaise fortune ne parvinrent à la conjurer. Le maréchal de Contades eut à Minden le sort de ses prédécesseurs, et lorsque parfois la victoire revenait sous nos drapeaux, les querelles des généraux et les jugemens qu’en portait la cour ne tardaient pas à étouffer un peu de gloire sous beaucoup de scandale. Broglie, le vainqueur de Berghen, en lutte personnelle avec Soubise, marchait en triomphe vers le lieu de son exil, tandis que son rival recevait au bruit des sifflets le bâton de maréchal de France.
La guerre, depuis si longtemps commencée par toutes les armées continentales contre un état secondaire qui n’était plus qu’un camp commandé par un général couronné, se prolongeait donc avec des alternatives très souvent périlleuses pour celui-ci, mais qui étaient toujours funestes à la France. En ménageant à cet immense conflit une issue dont Frédéric II avait plus d’une fois désespéré lui-même, la Providence sembla vouloir montrer au monde, par un exemple mémorable, le poids qu’un seul homme peut mettre à certains jours dans la balance des révolutions. On sait comment fut sauvé Frédéric au moment où il semblait près de succomber sous ces masses russes, sans cesse renouvelées comme les flots d’une mer inépuisable. L’impératrice Elisabeth fut soudainement remplacée sur le trône de Russie par Pierre III, admirateur fanatique du héros prussien, et décidé à mettre à son service toutes les forces de son empire. La paix conclue par le roi de Prusse avec la cour de Saint-Pétersbourg fut bientôt suivie d’un traité avec la Suède. L’impératrice-reine, dont la plupart des cercles suivaient le drapeau avec une répugnance de plus en plus, sensible, ne conservait plus que l’appui de la France, et celle-ci, indifférente à ses échecs presque autant que son roi lui-même, n’avait plus qu’une armée démoralisée,
- ↑ Traité du 30 décembre 1758. Par cette convention supplémentaire, la France s’engageait à entretenir constamment cent mille hommes en Allemagne, afin de protéger contre la Prusse les Pays-Bas autrichiens. De plus, elle mettait un corps soldé par elle à disposition de Marie-Thérèse et à la suite de son armée ; elle prenait à sa charge tous les subsides à fournir à la Suède, à la Saxe et aux divers auxiliaires de l’impératrice ; enfin elle garantissait à celle-ci la possession de la Silésie, alors cédée au roi de Prusse, s’engageant en outre à abandonner à Marie-Thérèse toutes les conquêtes que la France pourrait faire dans les états du Bas-Rhin sur Frédéric II. — Voyez le traité dans la Guerre de Sept Ans de Frédéric II, t. Ier, ch. IX, p. 352.