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promptement un argument d’une irrésistible séduction. Le succès lui semblait donc assuré, et c’était avec toute confiance que le jour de l’épreuve il se dirigeait vers le lieu du scrutin, victorieusement entouré de toute la pompe de ces processions électorales entrées dans les mœurs politiques de l’Anglo-Saxon. Les bannières flottaient gaiement, la musique faisait entendre les sons les plus discordans sur une basse continue de pétards et de coups de canon ; les cris sacramentels hurra, for B.. ! B… for ever ! partaient à tue-tête des voitures surchargées de monde, lorsque le troisième candidat, le colonel H…, parut inopinément sur le théâtre de l’action. Ce dernier était un aventurier qui s’était acquis une sorte de notoriété dans la guerre du Texas ; dédaignant toute procession, il se présentait sans escorte, monté sur un magnifique cheval, auquel il se mit à faire exécuter devant les spectateurs surpris toutes les brillantes manœuvres, tous les airs de manège qu’une longue pratique lui avait enseignés. Passes, voltes, terre-à-terre, courbettes, ce fut un véritable cours de haute école, une leçon d’équitation politique ; mais c’en fut assez pour changer les dispositions de la foule, qui, oubliant soudain toutes les largesses électorales du colonel B…, nomma avec d’enthousiastes acclamations son rival aux fonctions de shérif. « Vous voulez un roi qui sache monter à cheval, disait M. de Talleyrand, prenez Franconi. »

Malheureusement de semblables magistrats donnaient parfois lieu à d’étranges mécomptes, car ils ne se bornaient pas toujours à s’enrichir sur place, résultat prévu dont on se formalisait peu. En 1854 par exemple, l’un des principaux aldermen, Meiggs, trouvait moyen de disparaître avec une somme d’environ 5 millions de francs réalisés et représentant peut-être une perte double pour la ville. Chez nous en pareil cas, le chemin de fer ou le steamer banal emporte prosaïquement le fugitif ; Meiggs opérait plus largement, et prit la mer sur un bâtiment frété par lui, à lui appartenant, et pourvu de longue main de tous les approvisionnemens nécessaires aux plus longues traversées. Pendant trois jours, tous les journaux accablèrent l’audacieux escroc de philippiques où perçait néanmoins une secrète admiration pour son habileté, et tout fut dit. Aujourd’hui l’un des quais de la ville porte encore le nom de Meiggs, et, rappelle probablement aux habitans plutôt le souvenir d’une spéculation hardie, mais heureuse, que celui de la perte pécuniaire dont ils ont pourtant été les premières victimes[1].

Il est juste de reconnaître que les tentations se présentaient aux

  1. Le fâcheux relâchement de probité administrative que nous signalons ici n’est pas malheureusement particulier à la Californie, et en 1857, au sommet de l’échelle politique du pays on a pu voir quatre représentans exclus du congrès pour y avoir notoirement trafiqué de leurs votes.