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des collines escarpées et des forêts sauvages qui s’étendent entre la rive nord de la Nerboudda et les monts Vindhyas. Bien qu’il affectât de reconnaître toujours la suzeraineté du mahârâdja Sindyah, les détachemens qu’il envoyait fourrager dans les districts des Radjepoutes se répandaient quelquefois sur les territoires de celui-ci. On conçoit facilement les dégâts que devait causer le passage de ces bandes, fortes de dix ou douze mille cavaliers. A plusieurs reprises, Dowlat-Sindyab fit partir de sa citadelle de Gwalior des corps d’armée chargés de châtier ces pillards insolens, mais jamais il ne put venir à bout de les réduire. Après de vains efforts, il dut se contenter de leur céder certains territoires, affectés à leur subsistance. Tchitou obtint cinq districts à titre de fief. C’était admettre en principe et reconnaître en fait l’indépendance de ces ennemis de la paix publique, et les encourager à continuer leurs déprédations à une époque où les souverains les plus considérés, Holkar et Sindyah eux-mêmes, avaient dû subir la protection de l’Angleterre. Il semble donc naturel que les agens britanniques aient fini par faire de sérieux efforts pour anéantir ces bandes audacieuses qui s’obstinaient à tenir la campagne lorsque la paix était conclue avec tous les gouvernemens indigènes. Ce ne fut pourtant qu’en 1816 que des détachemens anglais[1] rencontrèrent les Pindarries de Tchitou. L’année suivante, une armée anglo-indienne pénétrait dans l’Inde centrale, et Tchitou, contraint d’abandonner son repaire, se mit à fuir en tous sens; il se faisait chasser, comme un sanglier, d’une forêt à l’autre, déjouant, par son activité et par sa connaissance des lieux, la poursuite de ses ennemis. A la fin, sa petite armée, réduite à quatre ou cinq mille cavaliers, fut battue et dispersée. Survint un petit prince radjepoute qui avait à se venger des déprédations commises sur ses terres; il se précipita sur les Pindarries mis en déroute, et les pilla impitoyablement.

Séparé des siens, Tchitou fuyait toujours; cherchant un refuge auprès de ses anciens partisans, il se jeta de nouveau dans les forêts pour échapper aux troupes qui le poursuivaient. Tantôt il songeait à se rendre et à profiter du pardon offert aux Pindarries qui déposaient les armes; tantôt, en proie à des terreurs inexprimables, il croyait avoir tout à redouter des vainqueurs. L’idée d’être condamné à la déportation le rendait fou; pendant son sommeil, il répétait avec angoisse ce mot terrible kala pani (eau noire)[2], comme

  1. Ils appartenaient au contingent imposé à Rhaghou-Dji-Bhounslay, râdja de Nagpour, qui avait été obligé de subir les mêmes conditions que son allié Dowiat-Rao-Sindyah. Les Anglais étaient arrivés sur la rive méridionale de la Nerboudda; les Pindarries occupaient la rive opposée.
  2. Les Indiens de l’intérieur des terres ont une horreur incroyable de la transportation, qu’ils appellent ainsi ; ces mots eau noire signifient pour eux la mer aux flots sombres et profonds, qu’ils n’ont jamais vue. — Voyez sir John Malcolm’s Memoirs on Central India.