Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/582

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

camp : depuis plusieurs nuits, il tenait conseil avec ses partisans les plus dévoués, cherchant à puiser dans leurs inspirations le courage qui lui manquait. Enfin, résolu à combattre et jetant tout d’un coup un masque qui ne trompait plus personne, le peshwa se précipita sur la résidence, qui fut pillée et livrée aux flammes. M. Elphinstone avait eu le temps de s’échapper, mais le feu détruisit tous ses livres et tous ses manuscrits. Le succès des armes du peshwa se borna à cet acte de vandalisme; dès le lendemain, ses troupes ayant été battues, il abandonna son camp, et renonça à son expédition guerrière pour adopter la vie errante d’un criminel qui n’a plus de pardon à attendre.

Se dirigeant vers Satara, Badji-Rao s’empara du souverain nominal des Mahrattes et l’emmena avec toute sa famille. Les troupes anglaises se mirent activement à sa poursuite : elles l’atteignirent enfin, et, après un combat dans lequel les cavaliers mahrattes déployèrent une fois encore le plus brillant courage, le râdja fut enlevé aux mains de Badji-Rao. Celui-ci s’était échappé; au moment où il touchait les frontières du Kandeish, les restes de sa petite armée éprouvèrent une complète déroute. La dispersion de ses partisans mit en défaut les détachemens anglo-indiens qui s’acharnaient sur ses traces. La guerre se prolongeait sur divers points sans qu’on pût avoir aucune nouvelle de Badji-Rao. Le peshwa, réduit aux dernières extrémités, fuyait toujours, se cachant comme un malfaiteur, et chaque nuit menacé dans sa retraite. Las de cette vie de privations et de périls, il se décida à faire des ouvertures à sir John Malcolm, qui avait su conquérir un réel ascendant sur les indigènes par la générosité de son caractère et l’élévation de ses sentimens. Non-seulement Badji-Rao fut admis à traiter, mais encore il obtint de se fixer à Bittour, lieu de pèlerinage fort célèbre, aux environs de Cawnpore[1]. Ce fut là qu’il vécut avec sa famille, touchant 8 lacks de roupies par an et se baignant dans les eaux du Gange tant qu’il lui plaisait : pratique religieuse fort importante pour un brahmane qui sent le besoin de laver les souillures de sa vie passée.

Le râdja des Mahrattes fut replacé sur le trône par les Anglais avec un semblant d’indépendance, Badji-Rao ayant dû renoncer pour lui et pour les siens à l’office de peshwa, qui demeurait aboli.

  1. Cet arrangement fut conclu en juin 1818. Le ministre de Badji-Rao, Trimback-Dji-Dainglia, fut moins heureux que son maître. Fait prisonnier par les Anglais, il fut enfermé pour toute sa vie dans une forteresse. On lit dans l’Histoire populaire de l’Inde anglaise, de Th. Cooke Taylor, que le gouverneur-général se décida très difficilement à confirmer les promesses trop généreuses de sir John Malcolm à l’égard de l’ex-peshwa.