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Quoiqu’on puisse aller en un quart d’heure de Veytaux à la grotte, nous avions trouvé le secret de faire de cette course une assez longue promenade. Éléonora marchait lentement. Autant elle s’intéressait peu aux humains qu’elle rencontrait, autant elle s’occupait, avec une persévérance infatigable, des merveilles du règne végétal. Elle connaissait personnellement les plus beaux châtaigniers, les noyers les plus vieux, les jasmins au doux parfum, les seringats dont l’odeur est aussi pénétrante que celle de l’oranger ; elle s’informait soigneusement des endroits où venaient la rose des Alpes et les cytises aux fleurs d’or. Je ne l’ai vue fâchée qu’une fois. Ce jour-là, on avait abattu un des noyers dont les branches majestueuses couvraient la Veraye, torrent qui tombe de la montagne et se perd dans le lac. Elle se figura qu’on allait détruire le groupe imposant dont l’arbre faisait partie. Son œil bleu lançait des éclairs ; elle avait l’angélique courroux d’un saint Michel foulant Satan sous ses pieds victorieux. En revanche, quand elle suivait attentivement les mouvemens des vignerons, qui soignent avec une sorte d’amour les pampres féconds de leurs coteaux, sa physionomie s’épanouissait. Elle me faisait remarquer presque joyeusement leur ardeur à purger le sol de toutes les plantes nuisibles, à donner aux vignes l’appui de solides tuteurs, à les préserver ainsi des coups de la bise, qui sont parfois violens, et qui transforment le lac en une mer agitée.

La grotte était tantôt le but de notre promenade, tantôt notre première station quand nous allions à la capitale, c’est le nom que nous donnions au principal des vingt et un villages qui composent l’opulente paroisse de Montreux. Abritée par d’énormes noyers, cette grotte, qui s’ouvre dans un rocher tapissé de lierres, donne passage à un ruisseau qui tombe avec un doux murmure auprès d’un établissement de bains, rustique chalet à trois étages dont l’aspect est charmant. Des jasmins et des rosiers bancs tapissent le rez-de-chaussée et le premier étage de leurs flexibles rameaux, et lui donnent l’apparence d’un massif de verdure et de fleurs. Un sentier tracé sous les noyers, le long de la montagne, permet d’atteindre le chemin de l’église et de gagner la terrasse, qui s’étend au midi de l’édifice, et d’où l’on contemple une des plus belles vues du pays de Vaud. En été, c’est le matin, vers neuf heures, qu’on peut y admirer le lac paré des plus merveilleuses teintes. Sur un fond d’azur frissonnant se dessinent des méandres d’argent. Le saphir lui-même semble privé d’éclat à côté de ces eaux. Le rayonnement métallique de l’aile azurée du martin-pêcheur peut donner une idée de cette nuance presque fantastique, qui semble appartenir à un autre univers.

Nous ne nous lassions pas d’admirer ce spectacle, dont la physionomie