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ture de bois, s’il voit du bénéfice à le transformer. En outre, la propriété forestière ne trouve aucune garantie de conservation entre les mains des particuliers, dont le besoin immédiat de jouir ne peut guère se concilier avec le temps qu’exigent les produits ligneux pour acquérir des qualités marchandes. Aussi faut-il conclure à la reconnaissance complète des terrains dont l’intérêt de la société exige à un titre quelconque le maintien en nature de bois, et à l’acquisition de ces terrains par l’état. Voilà, croyons-nous, la seule solution logique de cette interminable question du défrichement, solution purement théorique d’ailleurs. La solution pratique est celle qu’a proposée M. Tassy, ancien professeur de sylviculture à l’institut agronomique de Versailles, dans une note remarquable qu’il a publiée sur ce sujet : elle consiste, après la reconnaissance générale effectuée, à borner l’interdiction du défrichement aux forêts comprises dans ce cadastre, en laissant toutes les autres sous le régime de la liberté la plus absolue. Puis, à titre d’indemnité en faveur des propriétaires que la prohibition de défricher viendrait atteindre, il proposait de compléter cette mesure par le dégrèvement d’une partie des charges qui pèsent aujourd’hui sur les forêts particulières, et par la conversion en futaies de toutes les forêts de l’état, dont la concurrence se trouverait ainsi en partie écartée, en raison des produits spéciaux que fournit ce mode de traitement. Quoi qu’on fasse, cette reconnaissance préalable devra toujours être la base de toute loi sur le défrichement, attendu, comme dit quelque part fort spirituellement M. de Lavergne, « qu’il est absurde de s’opposer aux défrichemens dans les plaines humides et fertiles de la Seine-Inférieure, du Pas-de-Calais ou du Nord, parce que les montagnes de la Provence se déboisent et qu’il est de plus en plus urgent d’y arrêter les ravages des torrens et de la dépaissance. » Quoi qu’il en soit, l’état est le propriétaire naturel des forêts, d’un côté parce que la nation tout entière, et non tel ou tel particulier, telle ou telle commune, est intéressée à la conservation de certains massifs de bois, en raison de leur influence au point de vue climatologique ; de l’autre, parce que seul il peut entreprendre un genre de culture dont les produits ne sont souvent réalisables qu’après un siècle ou deux. Ce n’est qu’entre ses mains que les forêts peuvent atteindre le maximum de production ; entre les mains des particuliers, placées à chaque génération sous le coup d’un nouveau partage, elles se détériorent infailliblement, et, donnant de jour en jour des produits moins considérables, arrivent enfin à une ruine complète.

Si telle est la conclusion à laquelle on arrive pour les forêts déjà existantes, quelle n’en sera pas l’évidence quand il s’agira de terrains dénudés dont le reboisement aura été reconnu indispensable ?