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teur qui rend impossible toute tentative de reboisement. Voilà le nœud de la question. Le principe de l’expropriation, que nous avons admis comme base préalable du travail, nous donne un moyen fort simple de la résoudre.

La première chose à faire, ainsi que nous l’avons dit, est le relevé exact de tous les terrains qu’il sera reconnu nécessaire de reboiser. Ce cadastre comprendra naturellement les parties les plus dénudées et les plus arides, celles qui par conséquent offrent dès aujourd’hui le moins de ressources alimentaires pour les animaux ; il pourra sans doute laisser en dehors bien des montagnes pastorales, bien des plateaux, bien des parties inférieures de vallées dont le reboisement aurait été jugé moins urgent, et où le pâturage pourra être continué sans grands inconvéniens. Quoi qu’il en soit, les terrains ainsi désignés deviendraient la propriété de l’état, moyennant une rente de 3 pour 100, inscrite sur le grand-livre au nom de leurs propriétaires, particuliers ou communes. Cette rente, équivalente au revenu de ces terrains et fixée contradictoirement, n’aurait aucun caractère spécial, et pourrait être aliénée au gré de ses détenteurs. L’interdiction absolue du pâturage dans toutes les parties ainsi acquises par l’état aura probablement pour résultat la diminution, au moins momentanée, des troupeaux ; mais cette diminution ne lésera en rien les intérêts des propriétaires, indemnisés par la rente, et ne causera pas du reste de perturbation bien grave dans l’existence des populations qui vivent du pâturage. Une très grande partie en effet de ces troupeaux appartiennent à des habitans de la plaine, qui, moyennant une certaine rétribution par tête de bétail, les envoient passer l’été dans la montagne. Ces troupeaux transhumans, dont les ravages sont tels que M. de Bouville ne craint pas de les comparer à l’une des plaies d’Égypte, disparaîtraient, il est vrai, en partie ; mais le mal ne serait pas grand, car ils constituent aujourd’hui une véritable exploitation de la montagne par la plaine. Il faudra bien d’ailleurs, quoi qu’on fasse, arriver un jour ou l’autre à supprimer ces émigrations périodiques : c’est une mesure réclamée depuis longtemps par un grand nombre de préfets. Du reste, des irrigations bien entendues, rendues possibles par le reboisement, permettraient la création de prairies artificielles, qui remplaceraient avantageusement ces voyages annuels.

Quant aux habitans des montagnes, leurs troupeaux trouveraient dans les vallées et les montagnes pastorales conservées une nourriture que ne viendraient plus leur disputer ceux de la plaine. D’ailleurs la plus grande partie de ce bétail n’appartient qu’à un très petit nombre de propriétaires relativement aisés qui, maîtres de l’administration municipale, exploitent à leur profit, et pour une