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et le pouvoir, qui s’occupait alors de relever les ruines amoncelées sur notre sol, salua le Génie du Christianisme comme un utile et puissant auxiliaire de ses desseins. Mais le spiritualisme, en rendant à l’homme la conscience de ses devoirs, lui rend aussi celle de sa dignité et de ses droits, et il fortifie les caractères aussi bien contre les abus d’une puissance arbitraire que contre les périlleux entraînemens de l’anarchie. Le livre qui favorisait la renaissance de cette doctrine supérieure devait donc, à l’insu du consul qui le protégeait, à l’insu peut-être de l’auteur lui-même, servit d’arme à deux tranchans contre l’oppression d’un seul maître et contre le despotisme de la populace. Peu d’années après, quand le pouvoir absolu, cédant à sa petite naturelle, voulut employer à son profit les moyens qui avaient servi à la résolution, ce fut au nom des principes du spiritualisme, renaissans dans les écrits de Chateaubriand et de Mme de Staël, dans les conférences de M. Royer-Collard et de ses jeunes disciples, qu’on fit entendre les premières protestations contre les dangers d’une domination sans frein. Un peu plus tard aussi, quand le tout-puissant empereur, ne pouvant plus souffrir un partage de souveraineté avec le chef spirituel du monde catholique, traînera le pape captif à Fontainebleau, ce sera l’esprit religieux, s’unissant à l’esprit de liberté, qui se soulèvera secrètement en faveur de la victime, et qui détachera peu à peu l’opinion populaire du char triomphal auquel elle semblait enchaînée.

On ne pourrait sans exagération attribuer ce réveil de l’esprit public au seul génie de Chateaubriand. Tant de puissance n’est pas donnée à un homme, et ces lentes transformations de l’opinion, qui préparent les grands événemens de l’histoire, sont avant tout, il faut le reconnaître, produites par un concours de circonstances qui échappent à notre prévoyance comme à notre volonté. Il n’en faut pas moins rendre hommage à ceux qui, sans être découragés par l’incertitude du succès, travaillent sans cesse pour leur part à corriger les erreurs communes et à redresser les préjugés populaires. Ils contribuent plus peut-être que les politiques de profession à faire rentrer la société dans les voies qui lui sont tracées. Quand, à la suite d’un attentat tristement fameux. Chateaubriand eut brusquement rompu avec l’empire naissant, ce ne fut ni par aucun acte d’opposition, ni par aucun écrit sur les affaires publiques, qu’il lui fit la guerre : ces moyens d’attaque n’étaient pas alors d’une pratique facile. Il se contenta de miner lentement l’édifice, en entretenant des sentimens contraires aux maximes et même aux goûts qui étaient alors en faveur, car, ainsi que le remarque finement M. Villemain, « le rapport entre le goût et les opinions est plus intime qu’on ne croit. » La révolution, pour mieux assurer son œuvre, avait répudié, dans les arts comme dans la lit-