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pas l’âme assez forte pour se sacrifier aux nouveaux convertis. Sa vanité surtout était blessée, et il croyait facilement la monarchie perdue dès qu’il n’était pas appelé à la diriger. Aussi, quoique ses doctrines libérales dussent naturellement le rapprocher des royalistes modérés, il se sépara d’eux dès qu’il les vit sans lui au pouvoir, et tout en restant passionné pour la charte, il s’unit au pavillon Marsan, au parti qui devait un jour la violer et la détruire.

C’est ainsi que, même après la chute rapide du cabinet de M. de Talleyrand, il fit pendant une période de cinq années une guerre sans répit au ministère du duc de Richelieu et à celui de M. Decazes. Les hostilités commencèrent dès la session de 1815. À cette époque, tandis que les armées ennemies couvraient le sol de la France, tandis que de toutes parts éclataient les fureurs de la réaction, les esprits n’étaient pas assez calmes dans les chambres pour travailler aux lois constitutives de la monarchie. On était beaucoup moins préoccupé de réformer la législation civile et même politique d’après les besoins nouveaux que de discuter l’amnistie : la question des personnes dominait la question des principes. Chateaubriand eut le tort d’exciter ces ardeurs plutôt que de chercher à les éteindre, et sa voix, capable d’une plus noble éloquence, fit écho dans la chambre des pairs aux cris inintelligens d’enthousiasme ou de colère qui retentissaient alors dans la chambre des députés. Même après l’exécution du maréchal Ney, il ne cessait de soutenir un système d’intimidation ou de vengeance, et quand la triste période des condamnations judiciaires fut arrivée à son terme, il demandait encore avec persévérance des exclusions et des épurations, funeste politique qui tendait à perpétuer le souvenir de nos luttes intérieures, et qui, si elle eût triomphé, aurait infailliblement partagé la France en deux camps ennemis et irréconciliables! Chateaubriand se plaignait qu’on ne donnât pas toutes les dignités militaires aux officiers de l’armée de Condé. « Le gouvernement, disait-il, ne veut que des hommes qui ont envoyé des balles au nez des alliés; j’aimerais autant ceux qui ont envoyé des balles au nez des buonapartistes. » Il s’indignait que le roi fit accueil à tous ceux qui paraissaient revenir sincèrement à lui, et il réclamait toutes les faveurs pour les anciens émigrés, pour les honnêtes gens. « Je n’en demande que sept par département : un évêque, un commandant, un préfet, un procureur du roi, un président de la cour prévôtale, un commandant de gendarmerie et un commandant de gardes nationales. Que ces sept hommes-là soient à Dieu et au roi, je réponds du reste[1]. »

Chateaubriand oubliait une seule chose, c’est que maintenant tous les Français étaient au roi. Il voulait que Louis XVIII donnât

  1. La Monarchie selon la charte.