Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

systématique, « la seule propre, suivant lui, au gouvernement représentatif. » Il ne pouvait pas professer une plus redoutable erreur. Cette sorte d’opposition, qui n’épargne ni le bien, ni le mal, peut avoir sa raison d’être quand elle est dirigée contre un gouvernement qu’on veut renverser comme incapable et comme illégitime; elle est insensée quand elle s’attaque à un pouvoir qu’on prétend conserver et affermir : elle ébranle les institutions jusque dans leurs fondemens, fait perdre toute apparence de sincérité, enlève tout crédit aux plus justes avertissemens, et pousse souvent les chefs d’un état à des excès et à des fautes irréparables pour eux comme pour leurs successeurs.

On ne saurait soutenir que tous les actes et tous les projets des ministres de Louis XVIII aient été irréprochables ; M. Villemain lui-même, malgré la juste sympathie qu’il témoigne pour la politique de M. de Richelieu et de M. Decazes, signale certaines erreurs auxquelles ils furent entraînés. Il reconnaît en particulier que la loi des élections de 1817, établissant le suffrage direct et le concentrant dans la classe des électeurs imposés au-dessus de 300 fr., « était une loi mal calculée, dans laquelle un seul élément, celui qui n’est ni le plus éclairé, ni le plus indépendant, avait une part trop prédominante. » Mais si Chateaubriand croyait vraiment cette loi contraire à l’esprit de la charte et grosse de périls pour l’avenir, cette conviction même devait être pour lui une raison de modérer son langage, afin de rendre ses critiques acceptables; le ministère ne pouvait pas goûter les conseils d’une opposition qui annonçait l’intention de le renverser par tous les moyens. Plus tard, quand le duc de Richelieu eut quitté le ministère, M. de Chateaubriand reprocha violemment à M. Decazes, dans les colonnes du Conservateur, de faire alliance avec la gauche et de se séparer des vrais royalistes. Si le grief était fondé, à qui le polémiste devait-il en imputer la faute, sinon à lui-même et à l’opposition aveugle dont il se constituait le chef ? En jetant sans cesse à la tête de M. Decazes les accusations odieuses de trahison et de politique révolutionnaire, ne creusait-il pas entre la droite et les ministres un infranchissable abîme? En enveloppant dans le même blâme tous les actes, bons ou mauvais, du gouvernement, en déclarant au cabinet une guerre de personnes plutôt que d’opinions, ne le réduisait-il pas à la nécessité de chercher un appui exclusif dans un parti qui paraissait alors plus sincère, le parti des doctrinaires et des royalistes libéraux?

La polémique de M. de Chateaubriand n’eut pas seulement le tort d’aggraver ce qu’il considérait comme un mal; elle eut un effet plus funeste encore en contrariant ce qu’il regardait lui-même comme un bien. Le duc de Richelieu, passionné dans son noble cœur pour la gloire et pour l’indépendance de sa patrie, souffrait