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par exemple, prétendre que la nation polonaise a été enchaînée elle-même par les conventions qui ont consacré le partage de la Pologne ? Si donc l’Italie pouvait s’affranchir par ses propres forces, nous croirions commettre un contre-sens ridicule en invoquant contre sa résolution le respect des traités ; mais l’Italie ne peut pas conquérir immédiatement elle-même son indépendance, et le Piémont ne saurait sans folie prendre contre l’Autriche le rôle de l’agression. L’œuvre de l’indépendance de l’Italie est d’ailleurs un travail complexe. L’idée négative de la question italienne, l’expulsion de l’étranger, est une idée simple sans doute ; mais l’idée positive, l’organisation politique à donner à l’indépendance nationale, est un problème compliqué, que la force toute seule ne peut pas résoudre ou résoudrait mal. Nous en avons eu trop souvent en ce siècle la triste expérience : les appels à la force ont presque toujours fait faire des pas rétrogrades aux questions de nationalité et de liberté. La position défensive au contraire, celle que le Piémont a lui-même choisie dans le congrès de Paris, donne à la cause italienne des avantages certains. Cette attitude, on le sait, est fondée sur le droit de conservation du Piémont et sur l’intérêt manifeste de sa sécurité. Le Piémont demande que les mauvais gouvernemens italiens ne soient plus soutenus par les interventions autrichiennes, interventions qui livrent à une puissance étrangère toutes les positions stratégiques de la péninsule. Cette politique défensive assure au Piémont la faveur de l’opinion libérale en Europe : elle lui garantit le concours et l’alliance des puissances européennes, qui, dans un intérêt d’équilibre, doivent vouloir la pondération des forces en Italie, et qui, dans un intérêt d’humanité et d’ordre général, doivent souhaiter l’amélioration des gouvernemens italiens ; elle permet à la question italienne de grandir dans le double domaine des idées et des faits, et d’acquérir cette maturité qui est l’œuvre du temps, et qui seule communique la vie et la durée aux combinaisons politiques. Enfin, si les conflits s’engageaient, elle laisserait du moins à l’Autriche l’odieux et le péril de l’agression.

Sans fermer les yeux sur les souffrances de l’Italie, sans méconnaître la légitimité des griefs des populations italiennes, sans atténuer la gravité de l’antagonisme inévitable qui se poursuit en Italie entre la politique de l’Autriche et la politique piémontaise, nous croyons donc qu’envisagée au point de vue purement italien, la question italienne, conduite avec une prudente, habile et honnête résolution, peut encore éviter l’écueil de la guerre. Si l’on considère cette question au point de vue de la France, les raisons de vouloir la paix, et par conséquent de l’espérer, sont encore plus péremptoires.

Nous osons penser que nos amis d’Italie ne se récrieront pas, si nous leur disons que la question politique qui est pour eux à bon droit la première de toutes n’occupe point le même rang dans les préoccupations de la France. Il est sans doute d’un grand intérêt pour la France que le Piémont soit ce qu’il est aujourd’hui, un état libre et indépendant, qu’il soit soustrait à l’influence du cabinet de Vienne, et qu’il ne soit plus à notre porte des Alpes comme un avant-poste autrichien. Cet intérêt nous commande d’aider et de protéger le Piémont dans toutes les difficultés que pourrait lui susciter l’exercice naturel et légitime de son indépendance. Il importe aussi beaucoup à notre honneur et à notre crédit, puisque nous avons fait l’expé-