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liennes. Ce parlement a su empêcher ses espérances de faire explosion dans les adresses rédigées en réponse au discours du trône. L’adresse du sénat est surtout remarquable par le ton de modération qui y règne. Les chambres ont mis une sorte de soin respectueux à baisser la voix comme pour donner un retentissement plus prolongé au discours du roi Victor-Emmanuel. Peut-être nous laisseront-elles bientôt plus clairement lire dans leurs idées et dans leurs sentimens, s’il est vrai, comme on nous rassure, que M. de Cavour doive la semaine prochaine leur présenter un projet d’emprunt.

L’attente est le sentiment général aussi bien en Angleterre que sur le continent. Il serait oiseux d’étudier les appréciations et les conjectures de la presse anglaise sur la grande préoccupation du jour. L’Angleterre emploiera assurément tous les moyens qui sont en son pouvoir pour prévenir un conflit en Italie. Certes, après ses antécédens dans les affaires d’Italie, il est impossible qu’elle s’oppose aux vœux de la France et du Piémont. Lord Palmerston allait en 1848 plus loin que ce que nous connaissons de ces vœux, puisqu’il engageait l’Autriche à renoncer à sa domination anormale et onéreuse en Italie. Le gouvernement du pape ni celui du roi de Naples ne trouveront sans doute de défenseurs dans aucun parti anglais. Cependant l’Angleterre ne fait qu’obéir à la plus simple prudence en prodiguant les conseils pacifiques, parce que sa propre expérience lui a enseigné qu’il est plus facile de prévenir une guerre que d’en resserrer le théâtre, d’en empêcher les déviations, d’en maîtriser la durée et l’issue. Tel est sans doute le sentiment qui a dû inspirer lord Malmesbury dans les conseils qu’il a adressés au Piémont.

Au surplus, malgré le langage contraire de quelques journaux anglais, la gravité des questions extérieures semble devoir prolonger l’existence du ministère de lord Derby. L’on assure du moins que dans une réunion récente des membres les plus influens du parti whig il aurait été décidé que l’on ne ferait aucun effort pour renverser le cabinet tory avant d’avoir vu la tournure que prendraient les affaires du continent. Ces affaires, nous le craignons, feront également diversion aux grands débats intérieurs que devait exciter la réforme électorale. M. Bright semble être le seul homme d’état anglais que ne troublent point les préoccupations extérieures. 11 vient de prononcer, devant un nombreux meeting à Rochdale, le discours le plus chaleureux et le plus éloquent que son projet de réforme lui ait encore inspiré. Il n’y a pas d’intérêt pour des étrangers à le suivre dans les détails de son plan, qui ne paraît pas d’ailleurs avoir grande chance de succès ; mais on ne saurait lire sans émotion la péroraison de son discours de Rochdale. M. Bright y trace en quelques phrases véhémentes l’histoire de sa carrière politique. Il rappelle qu’il y a vingt ans il était dénoncé comme un factieux, lorsqu’avec Cobden, Villiers et Milner Gibson, il venait plaider la cause de la nourriture du peuple à bon marché. Le factieux a réussi à passionner son pays, à convertir ou à vaincre ses hautains adversaires, et grâce à lui des millions de travailleurs ont désormais le pain en abondance et à bas prix. Après l’alimentation physique, il a songé à assurer au pauvre la nourriture de l’esprit et de l’âme. Les journaux, grevés par les droits de timbre, n’étaient pas à la portée du peuple ; il a fini, après de longs efforts, par détruire ces droits de timbre, cet impôt dont l’intelligence du peuple était