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compositeurs italiens depuis Jomelli jusqu’à Cimarosa. Gluck s’est raidi contre ces fadeurs et ces lieux-communs en disant implicitement avec Boileau :

………… Laissons à l’Italie
De tous ses faux brillans l’éclatante folie;


et Rossini a prouvé dans Moïse, dans le Comte Ory et Guillaume Tell, qu’il
savait se soumettre à des lois plus rigoureuses d’unité dramatique, sans être
pour cela moins musical, ce que Gluck n’est pas toujours. Voyez plutôt le
magnifique finale du premier acte de Semiramide, lorsque la reine de Babylone annonce aux grands de l’empire le choix qu’elle va faire d’un nouvel époux :

<poem>Giuri ognuno a sommi dei.


Un beau quintette prépare l’explosion de terreur qui forme le nœud de ce grand ensemble. Existe-t-il quelque chose de plus beau et de plus dramatique que l’andante en la bémol mineur qui exprime ces paroles :

Qual mesto gemito
Da quella tomba,
Qual grido funebre
Cupo rimbomba!


Cette phrase admirable, exposée d’abord par Sémiramis, est reprise ensuite par Idreno, et puis toutes les voix éclatent et poussent un cri lugubre et religieux, que l’orchestre répercute dans ses profondeurs. Non, il n’y a dans toute l’œuvre de Gluck rien de comparable à ce finale, que le public du Théâtre-Italien ne comprend plus. Le duo pour basse et soprano entre Sémiramis et Assur, celui entre Arsace et Sémiramis, eh ben! a te ferisci ! sont deux morceaux de demi-caractère, où le maître a fait une large part à la bravoure des virtuoses et au goût de la nation pour le bel art de moduler )a voix humaine. Quand on entend ce dernier duo au Théâtre-Italien chanté par l’Alboni et Mme Penco, on comprend que l’ancienne école italienne se soit contentée de trois ou quatre morceaux de ce genre pour exciter les transports d’un peuple sensible. Lorsqu’un chanteur comme Pacchiarotti disait cet air dans l’Armide de Jomelli :

Resta in pace, io parto, addio,

c’était plus qu’il n’en fallait pour soulever l’enthousiasme du public napolitain et le renvoyer content. Ce sont de tels prodiges qui ont empêché pendant si longtemps la réforme de l’opera seria, dont les compositeurs italiens se plaignaient bien avant l’arrivée de Gluck, témoin Benedetto Marcello dans son opuscule il Teatro alla moda. Rossini a repris son droit d’homme de génie dans l’air avec chœur que chante Assur au tombeau de Ninus et dans le beau trio final.

L’exécution de ce beau chef-d’œuvre de Rossini est, par le temps qui court, aussi bonne que possible. M. Badiali, un chanteur.de la vieille école, possède à soixante-deux ans une voix de basse aussi timbrée, aussi souple et aussi pleine que si c’était un jeune homme. Il chante avec un véritable talent le