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si exacte équité. Les héros en sortent grandis quant au génie, diminués quant à la personne, et au lieu de nous apparaître dans cette majestueuse unité qui ne tente l’imitation que par les grands côtés, ils laissent voir sous le scalpel des bizarreries et des faiblesses que singent avec bonheur les petits esprits et qui font parfois chanceler les grands.

Est-il bien certain en effet qu’on arrive jamais à connaître un homme tout entier ? On croit avoir trouvé le fond de sa nature quand quelque confidence indiscrète ou quelque aveu involontaire vient révéler un secret de son âme. Il semble que les recoins les plus obscurs de son esprit s’illuminent à ces échappées de lumière. Rien n’est moins vrai pourtant. La plupart des hommes valent moins que leurs paroles et plus que leurs actions : beaucoup aussi ne doivent être jugés ni par leurs paroles ni par leurs actions. L’action révèle les mauvais mouvemens auxquels le cœur a cédé ; elle ne vous dit pas tous les bons mouvemens que la passion a foulés aux pieds sans les détruire. Les plus belles actions sont celles que personne ne sait, parce que la main gauche n’a point su ce qu’a fait la main droite. Il y a d’ailleurs presque autant de fanfarons de vice que d’hypocrites. Nous avons vu de nos jours de grands écrivains faire les honneurs d’eux-mêmes à tel point, qu’ils semblent avoir écrit sous la dictée de leurs plus mortels ennemis. Quand commencent à pâlir l’éclat et la gloire des jeunes années, quand le cœur est rassasié de louanges et d’encens, la vanité humaine ne trouve plus que cette grossière pâture. On a été longtemps adoré comme un demi-dieu ; l’adoration n’a plus de saveur, on se rejette sur le rôle d’archange déchu, et le vulgaire est fasciné par ce mélange de grands vices et de grandes vertus qui le fait alternativement descendre du ciel dans l’enfer et monter de l’enfer dans le ciel. Est-ce qu’un grand homme peut se contenter de vertus ou de vices tout bourgeois ? Il faut chatouiller l’épiderme émoussé du lecteur, et Satan sait se vêtir pour cela en ange de lumière : coupable et puérile vanité dont l’histoire elle-même peut être dupe, et qui console les bonnes âmes persuadées que le génie est un châtiment du ciel ! Le bon sens hausse les épaules et ne veut pas croire à cette perversité vaniteuse : ni si haut ni si bas, se dit-il, songeant d’ailleurs que les crimes stupides et les sottises obscures ne sont pas plus rares que les égaremens du génie.

Quoi qu’il en soit, c’est le goût de notre temps que les exhumations de grands hommes. On a fait des réputations toutes neuves, on en répare de vieilles, et le public applaudit, car il a soif de héros, et de notre temps l’offre paraît inférieure à la demande. Voici pourtant un grand poète qui reparaît aujourd’hui devant lui après avoir