Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/782

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieu où irait fondre l’orage qui les menaçait, et furent surpris presque sans défense. Là cependant, il faut bien le répéter, il ne s’agissait pas d’un de ces coups mystérieusement préparés, dont nul indice ne peut avertir. Le nom de Sébastopol était depuis plusieurs mois dans toutes les bouches, et la presse anglaise surtout démontrait chaque jour avec la plus claire évidence l’attaque de cette ville comme la chose la plus importante et la seule possible qu’il y eût à faire pour les alliés en Orient : preuve, soit dit en passant, qu’en temps de guerre tout n’est pas danger dans la libre discussion des journaux. Cette fois peut-être eut-elle le mérite de mettre en défaut la clairvoyance d’un monarque absolu, qui ne put croire à la réalité d’un projet divulgué à l’avance par une indiscrète publicité. Quoi qu’il en soit, si l’on fut trompé, ou si du moins l’on fut incertain alors avec tous les moyens qu’avait la Russie d’être bien informée, il est bien permis de supposer la même incertitude ou la même erreur aux approches d’une expédition française se dirigeant vers des côtes partout également attaquables. Le télégraphe, qui dit tout aujourd’hui, n’a plus rien à dire sur les mouvemens d’une flotte en mer. Autant vaudrait lui demander, quand un orage se forme au ciel, le lieu où doit tomber la foudre. On aura cru voir le chef de l’expédition gouverner sur tel point de la côte; on l’y attend, et l’on apprendra que vingt-quatre heures après il est allé débarquer là où il faudra sept ou huit journées de marche pour l’atteindre. Se garder contre un pareil mode d’attaque est impossible, à moins de disséminer ses forces à l’infini et de la manière la plus périlleuse, car nous supposons toujours que le corps d’armée ainsi transporté n’est qu’un détachement, et que pendant ce temps le gros des forces françaises est aux prises avec l’ennemi sur le principal théâtre de la guerre. Dans une autre hypothèse, ce pourrait être un corps auxiliaire envoyé pour concourir aux opérations d’une armée alliée, ou bien encore le débarquement pourrait avoir eu pour objet de se saisir par surprise d’une position militaire et maritime, de s’y fortifier et d’attendre là, dans une espèce de tête de pont, des événemens ou des renforts; mais ce ne seraient là que des opérations secondaires auxquelles nous ne voulons pas nous arrêter: nous n’insistons que sur le grand rôle joué par une flotte qui viendrait jeter cinquante mille hommes sur le flanc d’un ennemi ayant déjà en tête une armée.

Nous avons écarté la possibilité de voir venir un pareil armement. Que faire alors dans l’attente de ce péril inévitable? Ou se concentrer de manière à arrêter, si l’on peut, l’invasion dans sa direction la plus menaçante, ou se porter rapidement contre elle dès que l’on aura connu le lieu du débarquement; mais des rassemblemens de