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trables solitudes, si les hommes qui l’entourent sont les Indiens hier encore sauvages, armés les uns contre les autres, qui appelaient la lune leur mère et qui étaient prêtres du jaguar.

Un naturaliste ne pouvait guère s’occuper des questions relatives aux jésuites de l’Europe. D’Orbigny est resté étranger aux débats qui ont animé tant de fois les partisans et les adversaires de ces religieux : il n’a étudié leur conduite qu’en Amérique, et là il ne peut qu’admirer les résultats de leur administration. En Amérique, les jésuites n’ont pas été seulement missionnaires de la foi, ils ont été fondateurs de sociétés. Appelés après la série de crimes qui ont fait haïr les Espagnols, ils furent reçus par les Indiens comme des sauveurs. Lorsque les Mamelucos, ces aventuriers rebut de toutes les nations, voulurent continuer l’infâme commerce des hommes et envahirent les missions, le père Arcé réunit les Indiens, leur rendit courage, et les Mamelucos éprouvèrent une défaite sanglante. Amis de la liberté, enfans des forêts, les Indiens s’empressèrent autour des religieux qui faisaient succéder au despotisme de maîtres orgueilleux un commandement fondé principalement sur le respect dû au Créateur du monde. Le plus grand obstacle à la civilisation était la diversité des langages; les pères créèrent des écoles où l’on ne parlait qu’une seule langue : les différens dialectes ont ainsi peu à peu disparu, et les jésuites, s’ils revenaient aujourd’hui, verraient réalisée l’œuvre qui avait paru la plus impossible, l’unité du langage. Ces religieux s’attachèrent, non pas à supprimer les anciennes coutumes des Indiens, mais à les modifier de manière à les adapter aux innovations de la religion chrétienne et de la civilisation. Plusieurs peuplades ont pour la danse et la musique un amour effréné; les pères adoptèrent la danse et la musique comme élément essentiel dans les fêtes politiques et religieuses. Les Indiens apprirent l’art de cultiver les champs, d’épurer la cire, richesse inépuisable des forêts du Nouveau-Monde, de tisser les étoffes, de tanner le cuir, de sculpter le bois. L’aisance succéda bientôt à une vie de souffrance. Depuis le voyage de d’Orbigny, une grande expédition a été entreprise en Amérique; elle était composée de MM. de Castelnau, Weddell, d’Osery, Deville[1]. L’expédition a visité une partie des missions de la Bolivie, et dans le magnifique ouvrage qu’elle a publié elle a formulé sur les travaux des jésuites le même jugement que d’Orbigny.

Toutes les peuplades qui occupent les parties orientales de la Bolivie ne sont pas incorporées dans les missions; plusieurs vivent encore dans les bois à l’état sauvage. Une des plus importantes est

  1. Deux des membres de cette mémorable expédition ont déjà péri : M. d’Osery a été assassiné en Bolivie; M. Emile Deville, entraîné par l’amour de la science, a recommencé une deuxième expédition et est mort de la fièvre jaune au Brésil.