Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/929

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il peut se faire qu’en lisant ces curieux épisodes, on éprouve involontairement certain doute. Tout cela est-il bien vrai? Où sont les témoins? Nous n’avons pour garantie qu’une relation individuelle, et c’est l’auteur qui est en scène. Mme Pfeiffer ne serait-elle pas coupable d’un excès d’imagination ou tout au moins d’une habileté extrême dans l’art de grouper ses personnages? Elle a tant voyagé! D’ailleurs l’exagération des périls que l’on a courus est presque naturelle. Combien de gens aiment à se figurer et surtout à raconter, à propos de l’incident le plus vulgaire, qu’ils ont échappé à mille morts ! La question, si elle était posée, se résoudrait en faveur de Mme Pfeiffer. Il est constant que plusieurs Européens entrés avant elle dans le pays des Battaks ont été tués et mangés, que le voyage entrepris par elle était considéré par tous les Hollandais comme un acte plus que téméraire, que les rajahs des Battaks soumis voulurent eux-mêmes l’en détourner. Il n’y a donc pas à douter de la réalité du danger. Quant aux détails de l’excursion, le récit de Mme Pfeiffer présente, même dans les incidens les plus extraordinaires, un caractère de vraisemblance qui ne saurait être contesté. Notre voyageuse ne se donne point pour une héroïne; souvent elle a eu peur, et elle le dit. Il y a en elle un mélange d’audace et de frayeur, et comme une sorte d’intrépidité craintive dont l’expression se retrouve avec une fidélité scrupuleuse dans les pages émouvantes de son récit. Elle est femme, et loin d’affecter les sentimens virils et les mâles vertus en se posant comme supérieure aux délicatesses et à la faiblesse de son sexe, elle reste toujours femme. La malpropreté des Dayaks et des Battaks, la vermine qui peuple leurs cases, les petites misères de la vie matérielle l’occupent et l’importunent même au milieu des dangers les plus sérieux. Elle supporte tout de bonne humeur et avec gaieté, parce qu’elle a pris fermement à l’avance la résolution de tout subir; mais ses idées, ses instincts de femme bien née ne l’abandonnent jamais. Il n’y a dans son récit ni prétention ni forfanterie; elle mérite pleine confiance, et l’on peut dire au reste que jusqu’ici aucune voix de critique incrédule ne s’est élevée contre sa véracité.

La scène de Silindong indiquait assez que l’on ne pouvait aller plus loin; la tolérance et l’hospitalité des Battaks étaient à bout. Mme Pfeiffer dut, à son grand regret et avec la conscience de s’être aventurée jusqu’aux extrêmes limites de la hardiesse, retourner sur ses pas et prendre la direction de Padang. Quand elle arriva dans la capitale hollandaise, elle était accablée de fatigue et minée par les fièvres. Son voyage à l’intérieur de Sumatra avait duré près de trois mois. Sans doute il lui eût été difficile, dans un espace de temps aussi court, d’acquérir une connaissance approfondie des mœurs et des