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est permis de dire que les systèmes de colonisation, trop souvent viciés par les passions cupides, ont été dans l’origine durs et oppressifs; mais c’est aller trop loin que d’affirmer en termes absolus et de poser en axiome que les peuplades les plus heureuses sont celles que la domination européenne n’a pas encore eu le temps de conquérir. Le Dayak indépendant n’est pas plus heureux que le Dayak soumis à la loi hollandaise. Quelle existence, au témoignage même de Mme Pfeiffer, que la vie brute et misérable du Battak libre! C’est le devoir de la race blanche, c’est sa destinée d’introduire parmi ces tribus, au besoin par la force, la notion du travail, qui doit adoucir peu à peu les mœurs et créer progressivement le bien-être, la richesse, la liberté. Ce qui justifie la conquête, c’est précisément le contraste que révèlent aux yeux du voyageur les cultures de Java et les forêts vierges de Célèbes : ici le désert et la misère, là une population toujours croissante, laborieuse, intelligente, bien supérieure aux autres peuplades de la Malaisie et amenée malgré elle presque au seuil de la civilisation. Les Hollandais, comme les Anglais, ont abusé de la force pour plier au travail leurs sujets de l’Inde et pour grossir les revenus de leurs possessions : ils ont mérité un blâme sévère et se sont attiré les embarras de violentes révoltes; mais ils n’en ont pas moins commencé l’œuvre à laquelle la race européenne est destinée partout où la Providence lui permet de s’établir, et nous sommes à l’époque où, sous l’influence d’idées plus humaines et à la fois plus justes, les procédés de colonisation doivent nécessairement perdre de leur première rigueur. L’insurrection qui a récemment éclaté dans l’Inde anglaise est un enseignement qui tournera au profit des races conquises. Désormais on saura qu’il ne convient plus d’exploiter une colonie comme une ferme en ne se préoccupant que du rendement, on s’inquiétera davantage de donner satisfaction aux idées de justice, aux sentimens de bienveillance qui auraient dû toujours inspirer le plus fort à l’égard du plus faible et légitimer la conquête. La Hollande paraît avoir, dans ces dernières années, compris ce devoir. Sa politique coloniale, dans ses rapports avec les populations indigènes, s’est améliorée. De louables efforts sont tentés pour détruire les coutumes sauvages de la Malaisie; les impôts sont moins lourds à mesure que la richesse naturelle du sol s’accroît par le travail. L’appréciation de Mme Pfeiffer, quant à l’état de félicité relative des tribus libres et des tribus vivant sous la domination de la race blanche, ne saurait donc plus être considérée comme exacte. Il faut la prendre plutôt pour une impression de voyage que pour un jugement définitif et raisonné. N’oublions pas d’ailleurs que c’est une femme qui parle, et ne soyons pas surpris de la voir plaider, trop