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rapport de la population et du mouvement commercial, sinon de la moralité, des progrès de plusieurs années. Le 1er juillet 1851, Port-Philip fut détaché de la Nouvelle-Galles et forma une colonie séparée sous le nom de Victoria. Dès ce moment, sa capitale, Melbourne, définitivement plus favorisée sous le rapport du voisinage aurifère, commença à prendre le pas sur Sydney. Melbourne cependant n’était alors qu’une grosse bourgade, assez mal située dans un lieu bas et peu favorable au commerce ; elle rappelait les villes naissantes de la Californie par le nombre et la diversité des demeures provisoires que s’y était bâties la foule des émigrans, en attendant que les rues à angles droits et les belles maisons dont la ville s’est couverte depuis fussent édifiées. Il en était de même de Geelong, qui, non loin de Melbourne, doit autant au voisinage de l’or qu’à une admirable situation sa rapide prospérité.

Les années 1852 et 1853 furent pour l’état nouveau une période de trouble et de démoralisation. Le désordre n’y était pas aussi absolu que sur les bords du Sacramento, et ce n’était pas la loi du juge Lynch qui suspendait les criminels à la potence ; là était la seule différence entre la jeune contrée aurifère et sa sœur aînée de Californie ; d’ailleurs même soif de l’or, même débordement de toutes les mauvaises passions. Avec leurs fils de convicts, Sydney et Melbourne n’avaient jamais brillé par la moralité ; ce fut bien pis quand de partout furent arrivés par milliers, avec les mineurs, les marchands et les industriels, des individus uniquement occupés à exploiter ceux-ci et à se créer par des moyens plus ou moins légaux une part dans leurs bénéfices. Le jeu mettait en ébullition de bas en haut la société tout entière, et c’était un curieux spectacle que celui des gens qui, sans préparation, sans changement dans leurs habitudes, s’étaient subitement enrichis ; les uns s’adonnaient avec fureur à l’intempérance, les autres devenaient des types accomplis d’avarice. Les relations d’amitié, de parenté même, étaient suspendues. L’agiotage sur les terrains atteignait un effrayant paroxysme : il y avait des momens où le prix du sol dépassait cinq et six fois celui des quartiers les plus favorisés de Londres ; aucune classe de la société n’était exempte de cette fureur de spéculation, et l’étranger qui croyait ne visiter Melbourne qu’en observateur (à vrai dire, cette classe de voyageurs n’était pas nombreuse) était bien vite entraîné par le tourbillon, lorsqu’il avait mis le pied sur cette terre de fièvre et de folie.

Peu à peu néanmoins, quelques bons élémens se dégagèrent de cette fermentation : le gouvernement colonial déploya de la vigueur, et le calme se rétablit, du moins à la surface. La crise financière qui suivit la première fureur de spéculation eut pour effet de délivrer la place d’une foule d’aventuriers qui, sans caractère sérieux