Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/992

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Leur ombre et leur appui;
Hélas! du corps charmant leur tronc garde la place,
Et la mousse jaunie où s’imprima sa trace
A duré plus que lui...

« Et puis nous revenions lentement, à la brune;
Les étoiles riaient, ses yeux au clair de lune
Paraissaient s’embraser.
Lorsque nous atteignions sa porte, à la nuit close,
J’effleurais ses cheveux, ses yeux bruns, son front rose,
D’un rapide baiser.

« Et tout est mort : baisers, doux murmures, caresses.
Voix fraîche, bruns regards, grâces enchanteresses.
Mon bonheur un matin
S’est écroulé, pareil à ces clairs feux de pâtre
Dont on voyait la flamme au loin danser bleuâtre,
Et qu’une pluie éteint. »

III.


Cherchant des souvenirs, il errait comme une ombre
Du corridor muet au salon vide et sombre.
Il atteignit la salle où le blanc lit de mort
Du corps enseveli gardait l’empreinte encor.
Le jour baissait, la couche était tout embrasée
D’un rayon de soleil venu de la croisée.
Et dans ce chaud rayon mille atomes tremblans
Montaient et descendaient, rouges, étincelans.
Au temps de ses amours, leurs plus belles soirées
Jamais d’un tel éclat n’avaient été dorées.
Et, pour le jour fatal où son bonheur sombrait
Comme un vaisseau perdu, la terre réservait
Ses sourires de fête et ses fraîches parures...
Dans le jardin, parmi les mobiles verdures
Des saules, des bouleaux, des marronniers en fleurs,
Le soleil dispersait ses dernières lueurs;
Les lilas secouaient leurs grappes embaumées,
Des rossignols perchés dans les jeunes ramées
Gazouillaient. — De nos pleurs que tu fais peu de cas,
Nature! Nos sanglots ne peuvent même pas
Retarder d’un moment, tant ils sont peu de chose,
L’épanouissement de la plus frêle rose,
Et quand d’un peuple entier les larmes et le sang
Rouleraient sur ton sein comme un flot jaillissant,