Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peser sur le midi au lieu de s’étendre à l’est; elle a une propension malheureuse à suivre le méridien, et ne sait point voir que ce n’est pas l’Europe, dont Constantinople est la clé pour elle, qui est destinée à recevoir le trop-plein de sa vie à demi sauvage. Elle n’a pas su s’approprier encore l’Asie centrale, ou du moins y exercer une prépondérance. L’Europe l’inquiète. Croit-elle possible une seconde époque d’invasions du nord au midi? Le christianisme a donné aux nations la vertu de se transformer sans périr, et c’est en vain que la Russie compterait sur la dissolution de la vieille Europe pour s’y transporter et s’y établir. Les efforts qu’elle ferait dans ce sens n’amèneraient qu’un choc inutile, ne pourraient que neutraliser des forces semblables. C’est sur les régions non chrétiennes qu’elle doit diriger son action; là elle verra des succès certains accompagner ses entreprises, profitables aux races qu’elle assujettira autant qu’à elle-même.

Au reste, ce n’est pas le sang slave qui s’est mêlé au sang méridional dans les invasions du moyen âge : c’est le sang germanique. Le monde moderne est issu des Germains et des Romains. Les races tudesques eurent pour fonction, aux derniers jours de l’empire romain en Occident, de détruire le monde ancien pour ouvrir la carrière au christianisme. Ce grand fait est admiré par Balbo, mais l’admiration fait place chez lui à un sentiment de regret, lorsqu’il considère la suite des destinées de la Germanie. Il la voit résister à Charlemagne, n’accepter de lui des dogmes et un culte que par la force de l’épée, l’empêcher enfin de pénétrer en Espagne et d’y détruire ce nid de mahométans qui n’en devait disparaître que sept siècles plus tard. Ce début, qui attriste Balbo, n’est pourtant que la continuation des tendances antérieures. Charlemagne adopte le vieux principe romain dont il veut se servir; avec l’aide du pape, il restaure en grande partie le droit des Quirites : la Germanie se pose dès lors en adversaire inévitable de Rome, et l’antinomie continue pour se développer dans toute l’histoire du moyen âge jusqu’à Luther.

César Balbo, Romain de race[1], de religion et d’esprit, ne sent pas l’utilité de cette antithèse; il ne la voit pas préparer la division moderne des pouvoirs spirituel et temporel, il n’est frappé que de la contrariété soufferte par la race latine, et s’écrie que la mission de son antagoniste n’est que d’opposer à la religion les obstacles et les dangers dont elle a besoin pour triompher et grandir dans les épreuves, a Au lieu de se dilater, dit-il, au nord parmi des nations consanguines, et à l’est chez des nations alliées, les Tudesques ne se défendent contre ces dernières que lorsqu’il le faut absolument,

  1. Une tradition fait descendre les Balbo des Balbus de l’ancienne Rome.