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les tributs, mis le sérail là où il n’y avait que la polygamie, légalement voué à l’esclavage toutes les tribus dites infidèles. Quant aux élémens bien incomplets de commerce et d’industrie qui l’ont suivi, ils sont moins son fait que celui d’un contact extérieur, et le bien-être matériel qui en résulte n’équivaut pas à la dégradation morale dans laquelle les noirs qui l’ont adopté semblent tombés sans retour. Ce qu’il faut à l’Afrique, c’est une religion douce, indulgente, dégagée de ses côtés dogmatiques, prêchant d’exemple la morale et la charité ; de plus, un trafic honnête dont les échanges profitent aux noirs autant qu’aux blancs. Si nous osions formuler un léger reproche en présence de ces hommes, véritables apôtres des temps modernes qui s’en vont, au péril de leur vie, porter à tant de déshérités leur part de bien-être, c’est qu’ils insistent un peu trop sur les mystères de la religion qu’ils enseignent. Ce qui importe, c’est moins d’élever à la pureté du dogme des esprits rebelles à l’abstraction, et de leur expliquer la Trinité et le Verbe, que de les initier aux bienfaits pratiques de la morale et d’une assistance réciproque.

Le sol exerce sur les hommes qui l’habitent une extrême influence ; c’est là où il est stérile que végètent les misérables Bushmen (hommes des buissons). Heureusement, à l’exception du désert de Kalahari, sur les confins duquel errent ces pauvres hommes, l’Afrique du sud est en général bien arrosée et fertile, riche en animaux, en productions de toute espèce, et très propre à la culture. Au point de vue pittoresque, elle offre de splendides paysages: ce sont des forêts d’une sublime majesté, des rochers gigantesques aux formes bizarres, ces chutes grandioses du Zambèze appelées Mosioatounga, où le fleuve se précipite avec un bruit de tonnerre dans de profonds abîmes en lançant vers le ciel des colonnes de vapeur où se jouent les couleurs de l’arc-en-ciel. A tous ces points de vue, la relation de M. Livingstone est pleine d’intérêt, sans parler des périls personnels du voyageur et de ses luttes avec les lions, les buffles, les hippopotames. En outre, cette relation est désormais accessible à tout le monde en France, grâce à la traduction élégante et très fidèle qu’en a donnée Mme H. Loreau. On a dit il y a trois ans, lorsque Barth, ce voyageur qui sera une des gloires du XIXe siècle, rentra en Europe, qu’il ne se trouva pas chez nous comme en Allemagne et en Angleterre un éditeur pour publier son voyage. Ce n’est pas aux éditeurs, c’est au public qu’il faut s’en prendre, et vraiment il est pénible d’avoir à supposer que, sous le rapport de la curiosité intelligente, la France soit inférieure aux nations voisines. Enfin voici, avec la traduction de la relation de M. Livingstone, un premier pas fait dans cette voie trop négligée, et il y a lieu de souhaiter, dans l’intérêt de notre amour-propre et de notre instruction, qu’il provoque de nouveaux efforts.


ALFRED JACOBS.


V. DE MARS.