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regard. Victor-Emmanuel II était appelé à continuer l’œuvre de son père, mais non à la recommencer; César Balbo restait uniquement attaché au souvenir de son ancien maître. L’image de son roi martyr ne le quittait pas. Il dictait pour ses derniers manuscrits des dédicaces comme celle-ci :


« A mon roi Charles-Albert, qui, plein de foi et d’espoir, combattit, souffrit, mourut pour la patrie et la chrétienté, — Impérissable comme elles. — Mes yeux furent toujours fixés sur toi. Appelé, j’accourus, je fis selon mes forces, et je survis maintenant, dans la douleur de mes souvenirs. Accueille ce dernier hommage de ton fidèle. »


« Je fis selon mes forces; feci quel che potci. » Telle était bien la confession de cette âme excellente, tel était le résumé de cette noble vie. Quand l’auteur des Speranze sentit approcher sa dernière heure, la guerre d’Orient se préparait; il s’émut à l’idée de la division probable de l’empire ottoman, amenée par une guerre décisive. Il adressa au ciel un dernier vœu pour que la rédemption de sa patrie en fût avancée. La veille, de sa mort, Balbo recommanda à son fils Prosper de supprimer dans la prochaine édition des Speranze l’épigraphe Porro unum est necessarium, se reprochant d’avoir détourné le sens tout spirituel du texte. Depuis plusieurs jours déjà, il avait témoigné le désir qu’on ne lui parlât plus de politique, afin de prendre du moins quelques jours de repos avant de mourir. Le 3 juin 1853, il expira doucement, dans la paix promise aux hommes de bonne volonté.

Quoi qu’il arrive dans la période hasardeuse qui vient de s’ouvrir, l’Italie doit étudier et observer le legs précieux de Balbo, que nous venons d’expliquer en partie; elle doit se persuader que, si la résistance armée est légitime devant la force brutale qui arrête son développement, la liberté et le travail peuvent seuls fonder sa prospérité intérieure et extérieure, que si la France militaire peut lui être utile un instant, l’exemple de l’industrieuse et libre Angleterre lui sera toujours profitable. Si donc la Rome pontificale est destinée à se ranimer sous l’influence gallicane, l’Italie doit se pénétrer de cet esprit plus large encore auquel l’Angleterre doit sa prospérité, de cet esprit de liberté et de travail par lequel s’obtiennent aujourd’hui les primaties. Tel serait probablement le conseil de César Balbo à l’Italie de nos jours. Plus de rêves donc : les Italiens ne peuvent plus sans folie s’absorber dans une évocation stérile du passé; ils ont un grand avenir à se faire, et c’est avec le présent que l’on fait l’avenir. Or le présent n’est plus ni guelfe ni gibelin; il ne promène plus son choix amoureux de l’absolutisme à l’infaillibilité; il n’est plus le vassal du pape ou de l’empereur. Ni